Je dus m’assoupir vu que je constatai que mon billet fut composté par le contrôleur sans que je ne le remarque. Au dehors la nuit commençait à tomber et le ciel de gris avait viré à un bleu sombre. Tout semblait d’huile, les collines au loin se distinguaient à peine de l’horizon, comme si ce fut un océan gelé dans ses mouvements qui représentaient mon champ de vision. Le bruit assourdi de la mécanique ronronnait, les raccords des rails gommés par les suspensions. Je m’étirai en baillant, heureux d’être assis là à attendre l’arrivée en gare de Ranetta. J’avais soif de repos, soif de revoir ma ville, mes rues, ma cour de récréation de l’école primaire. Je m’installai alors pour mieux voir au dehors, coudes sur le bord de la fenêtre qu’on avait fermée pour moi, le visage presque collé à la vitre tout comme je le faisais étant gamin. J’adorais voir les arbres défiler, passer à toute vitesse dans les gares et espérer compter les fenêtres des bâtiments. Quel changement entre ce monde mécanisé et cette nature à peine violée ! Je vus des champs fauchés pour l’hiver à perte de vue, des vergers aux feuilles tombant en préparation de l’hiver, et ces serres bâties pour protéger la récolte de fleurs multicolores. Nous longeâmes un long moment une petite rivière qui serpentait aux pieds du ballast. Vu d’en haut, on aurait pu croire que mon train roulait directement sur le liquide ou que nous volions au-dessus comme par magie.
Certains villages se distinguaient des autres par la présence d’un bâtiment plus haut que les autres, probablement un clocher ou une mairie plus orgueilleuse que de raison. Les fenêtres s’éclairaient une à une, chandelles et lampes devaient sûrement se poser sur les tables pour le dîner. Je me rendis alors compte que, moi aussi j’avais faim et que je n’avais pas prévu de provisions. Je pris le parti de me retenir d’acheter quelque chose au wagon restaurant, j’avais tellement d’argent que je voulais le donner à mes parents. Ils avaient tant faits pour moi ! Malgré de piètres résultats à l’école, dus autant à mon manque de travail qu’à des difficultés d’apprentissage, ils furent systématiquement moteurs dans mon éducation. Pour eux j’avais un avenir autrement plus radieux que mineur ou simple mécanicien. « Un de plus ça ne sert à rien ! » disait souvent papa en voyant des immigrants arriver en ville et repartir sans avoir trouvé d’emploi. Ce n’était pas du racisme, c’était un constat qu’il trouvait affligeant : nous avions déjà du mal à fournir du travail à tout le monde, donc à ses yeux il était inconcevable d’en fournir à des étrangers. Jamais il ne m’enseigna quoi que ce soit de mauvais, tout juste eut-il parfois la mauvaise tendance à tâter de la dive bouteille… Enfin, c’était une maladie commune à tous ceux qui travaillaient aux puits. Maman elle faisait souvent de la couture, des retouches pour « ajouter du beurre dans les légumes » et ainsi nous permettre un peu de superflu. J’appris énormément de mes parents, dont quelques vertus qui me sauvèrent la vie plus d’une fois. Respect et tolérance furent à leurs yeux les seules choses nécessaires l’existence. Jamais ils n’eurent à avoir honte d’eux, pas plus que je ne fis quoi que ce soit qui put leur faire honte.
Que de souvenirs, que l’école était loin déjà ! Quand je me décidai à reprendre mes études en main je pus alors avoir un niveau acceptable en entrant au collège de la ville. Bâtisse unique, les cours étaient mixtes non par choix mais simplement par manque d’enseignants. J’y appris mathématique, lettre et sciences avec facilité. Avec le recul je pense que le niveau était de piètre qualité tant il fallait que nous fassions de la place pour les classes suivantes. Enfin bon, j’étais déjà fasciné par les grosses pompes de drainage des mines, par ces bielles gigantesques ne s’arrêtant jamais, et par ces havages démesurés qui me laissaient sidérés. C’est peu à peu l’idée qui germa en moi : prendre le chemin de la capitale, entrer dans la légendaire STEAM et ainsi décrocher un diplôme de vaporiste. Il y avait bien une université aujourd’hui disparue à Ranetta, mais je ne croyais pas qu’elle aurait pu me donner un niveau équivalent à celle de la faculté nationale. Somme toute, tout me menait à Varia, tout concourut à faire de moi un aspirant puis un élève.
Le train entra dans la cinquième gare du trajet, Tombeim. C’était un de ces bourgs sans prétention avec un bras de mer pour seule activité. Le port, quelques quais pour décharger des marchandises, et puis encore et toujours cette forêt de cheminées. Depuis l’avènement de la vapeur et la révolution industrielle qui s’en suivit toutes les régions du monde connu se mirent à exploiter la puissance et la technologie de la vapeur. Ce fut un bond en avant, au moins autant que l’apparition de la marine à voile. Pourtant il y eut un immense revers à ce phénomène : le déboisement. Jusqu’à présent nul ne doutait de l’éternité des forêts, puis quand il fallut faire tourner les chaudières ce fut tout naturellement vers le bois que nous nous tournâmes. Les collines et autres forêts furent dévastées au point que certaines régions furent sinistrées à jamais. On parla de l’apparition de déserts autrefois luxuriants, du début de la famine pour certains villages privés du gibier et des ressources enfouies dans ces inextricables bocages. Malgré la nuit sans lune je pus voir les dites étendues dénudées où même les souches avaient été extraites pour être brûlées dans les fourneaux. Quel gâchis, heureusement que le charbon fut mis rapidement à l’honneur, mais cela engendra alors d’autres désastres humains.
Je songeai alors aux mines de fer et à l’extraction de cette roche noire. Des armées entières d’ouvriers furent mises au travail pour extraire le charbon, et on ne compta plus les accidents, coups de grisous, inondations des galeries, effondrements par irrespect des règles élémentaires de sécurité. L’armée mit alors à disposition des techniciens, des vaporistes et même des artificiers pour assainir la situation. Seulement, bien des régions n’acceptèrent pas l’ingérence militaire dans les affaires civiles Quoi de plus normal ? Déjà que les libertés individuelles étaient parfois peu évidentes, cela devenait à leurs yeux intolérables. On parla de révoltes matées dans le sang, de l’envoi de troupes pour instaurer la loi martiale, et j’eus à l’estomac une boule et un goût amer dans la bouche Serais-je, moi aussi, envoyé pour reprendre le contrôle d’une région ? Je ne comptais pas tirer sur des frères, des gens cherchant juste à vivre dignement…
Perdu dans mes pensées je m’assoupis à nouveau, sans manquer de demander à une femme entrée dans le compartiment lors de l’arrêt de me secouer à chaque station, ou du moins de demander au contrôleur de le faire. A cet effet elle m’informa qu’il suffisait de prendre le bout de carton bloqué au milieu de la porte du compartiment et d’y écrire sa gare d’arrivée. J’y mis mon nom ainsi que « RANETTA » en capitales pour être sûr d’être lisible. J’avais pourtant amélioré notablement mon écriture ces trois derniers mois, mais on est jamais à l’abri d’une erreur…
Certains villages se distinguaient des autres par la présence d’un bâtiment plus haut que les autres, probablement un clocher ou une mairie plus orgueilleuse que de raison. Les fenêtres s’éclairaient une à une, chandelles et lampes devaient sûrement se poser sur les tables pour le dîner. Je me rendis alors compte que, moi aussi j’avais faim et que je n’avais pas prévu de provisions. Je pris le parti de me retenir d’acheter quelque chose au wagon restaurant, j’avais tellement d’argent que je voulais le donner à mes parents. Ils avaient tant faits pour moi ! Malgré de piètres résultats à l’école, dus autant à mon manque de travail qu’à des difficultés d’apprentissage, ils furent systématiquement moteurs dans mon éducation. Pour eux j’avais un avenir autrement plus radieux que mineur ou simple mécanicien. « Un de plus ça ne sert à rien ! » disait souvent papa en voyant des immigrants arriver en ville et repartir sans avoir trouvé d’emploi. Ce n’était pas du racisme, c’était un constat qu’il trouvait affligeant : nous avions déjà du mal à fournir du travail à tout le monde, donc à ses yeux il était inconcevable d’en fournir à des étrangers. Jamais il ne m’enseigna quoi que ce soit de mauvais, tout juste eut-il parfois la mauvaise tendance à tâter de la dive bouteille… Enfin, c’était une maladie commune à tous ceux qui travaillaient aux puits. Maman elle faisait souvent de la couture, des retouches pour « ajouter du beurre dans les légumes » et ainsi nous permettre un peu de superflu. J’appris énormément de mes parents, dont quelques vertus qui me sauvèrent la vie plus d’une fois. Respect et tolérance furent à leurs yeux les seules choses nécessaires l’existence. Jamais ils n’eurent à avoir honte d’eux, pas plus que je ne fis quoi que ce soit qui put leur faire honte.
Que de souvenirs, que l’école était loin déjà ! Quand je me décidai à reprendre mes études en main je pus alors avoir un niveau acceptable en entrant au collège de la ville. Bâtisse unique, les cours étaient mixtes non par choix mais simplement par manque d’enseignants. J’y appris mathématique, lettre et sciences avec facilité. Avec le recul je pense que le niveau était de piètre qualité tant il fallait que nous fassions de la place pour les classes suivantes. Enfin bon, j’étais déjà fasciné par les grosses pompes de drainage des mines, par ces bielles gigantesques ne s’arrêtant jamais, et par ces havages démesurés qui me laissaient sidérés. C’est peu à peu l’idée qui germa en moi : prendre le chemin de la capitale, entrer dans la légendaire STEAM et ainsi décrocher un diplôme de vaporiste. Il y avait bien une université aujourd’hui disparue à Ranetta, mais je ne croyais pas qu’elle aurait pu me donner un niveau équivalent à celle de la faculté nationale. Somme toute, tout me menait à Varia, tout concourut à faire de moi un aspirant puis un élève.
Le train entra dans la cinquième gare du trajet, Tombeim. C’était un de ces bourgs sans prétention avec un bras de mer pour seule activité. Le port, quelques quais pour décharger des marchandises, et puis encore et toujours cette forêt de cheminées. Depuis l’avènement de la vapeur et la révolution industrielle qui s’en suivit toutes les régions du monde connu se mirent à exploiter la puissance et la technologie de la vapeur. Ce fut un bond en avant, au moins autant que l’apparition de la marine à voile. Pourtant il y eut un immense revers à ce phénomène : le déboisement. Jusqu’à présent nul ne doutait de l’éternité des forêts, puis quand il fallut faire tourner les chaudières ce fut tout naturellement vers le bois que nous nous tournâmes. Les collines et autres forêts furent dévastées au point que certaines régions furent sinistrées à jamais. On parla de l’apparition de déserts autrefois luxuriants, du début de la famine pour certains villages privés du gibier et des ressources enfouies dans ces inextricables bocages. Malgré la nuit sans lune je pus voir les dites étendues dénudées où même les souches avaient été extraites pour être brûlées dans les fourneaux. Quel gâchis, heureusement que le charbon fut mis rapidement à l’honneur, mais cela engendra alors d’autres désastres humains.
Je songeai alors aux mines de fer et à l’extraction de cette roche noire. Des armées entières d’ouvriers furent mises au travail pour extraire le charbon, et on ne compta plus les accidents, coups de grisous, inondations des galeries, effondrements par irrespect des règles élémentaires de sécurité. L’armée mit alors à disposition des techniciens, des vaporistes et même des artificiers pour assainir la situation. Seulement, bien des régions n’acceptèrent pas l’ingérence militaire dans les affaires civiles Quoi de plus normal ? Déjà que les libertés individuelles étaient parfois peu évidentes, cela devenait à leurs yeux intolérables. On parla de révoltes matées dans le sang, de l’envoi de troupes pour instaurer la loi martiale, et j’eus à l’estomac une boule et un goût amer dans la bouche Serais-je, moi aussi, envoyé pour reprendre le contrôle d’une région ? Je ne comptais pas tirer sur des frères, des gens cherchant juste à vivre dignement…
Perdu dans mes pensées je m’assoupis à nouveau, sans manquer de demander à une femme entrée dans le compartiment lors de l’arrêt de me secouer à chaque station, ou du moins de demander au contrôleur de le faire. A cet effet elle m’informa qu’il suffisait de prendre le bout de carton bloqué au milieu de la porte du compartiment et d’y écrire sa gare d’arrivée. J’y mis mon nom ainsi que « RANETTA » en capitales pour être sûr d’être lisible. J’avais pourtant amélioré notablement mon écriture ces trois derniers mois, mais on est jamais à l’abri d’une erreur…
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