vendredi 25 avril 2008

Episode 13

Dernier jour, dernière épreuve. Nous n’avions aucune information sur le déroulement du test final et encore moins sur sa valeur. Tout juste savions nous qu’il déterminait tout le reste et qu’il était éliminatoire. La seule mention connue était « épreuve pratique sur machine », ce qui pouvait tout vouloir dire, et rien ne vouloir dire du tout. Comme à chaque début d’épreuve nous fûmes mis en lignes et en groupes, puis appelés à tour de rôle par nos examinateurs. Quand ce fut mon tour on me remit une mallette sombre étiquetée d’un numéro de série dont j’ignorais tout et l’on me demanda de suivre mes quatre professeurs. Je n’en connaissais aucun, tous étaient d’autres divisions. L’idée générale était sûrement d’éviter tout favoritisme. J’étais pour ma part très stressé, je suivais d’un pas lourd ces personnes qui avaient mon avenir entre leurs mains. Bien qu’il fit relativement froid je transpirais à grosses gouttes sous mon uniforme. L’angoisse, le dernier pas à franchir, le plus simple et le plus difficile. Pourtant je n’avais pas été plus mauvais que ça durant le trimestre et j’avais mis du cœur à l’ouvrage !
Nous passâmes sous des arcades pour rejoindre une aile qui m’était totalement inconnue. Tous les aspirants évitaient les zones réservées aux vrais étudiants, d’autant plus que l’organisation même du campus n’incitait pas au mélange. A chacun sa cantine, ses dortoirs, sa salle de pause… nous n’aurions pas même eu le loisir de tenter une incursion par chez eux sans y avoir été invités ! Comme tout se ressemblait ici, la chose qui me surprit fut tout de même la présence de nombreux blasons et drapeaux sur les façades. Chacun arborait une date, un évènement ou un lieu marquant de l’histoire des soldats sortis de la STEAM : telle victoire sur un champ de bataille lointain, tel vaporiste tombé héroïquement au front, tout exaltait la pensée commune et le respect de l’uniforme. C’était imposant et pesant à la fois, comme un arbre tombé sur une maison. La grande cour était cernée de grands troncs écimés, sûrement en prévision de l’hiver. Il n’y avait personne ici, tout juste remarquai-je la présence de quelques visages derrière les rideaux à peine entrebâillés. On nous épiait, nous les aspirants, future chair à canon et futurs serviteurs de la cause STEAM.

Nous entrâmes enfin dans une des bâtisses, suivîmes un couloir pour déboucher dans une pièce rectangulaire semblant avoir servie de chapelle. L’éclairage faible de lampes à gaz rendait le centre incroyablement sombre, comme si les murs brûlaient autour d’un trou sans fond. On me fit signe de m’approcher de cette zone obscure, puis l’on me dit d’attendre. Je tenais toujours la mallette par sa poignée quand une grande rampe de brûleurs s’alluma au-dessus de moi. Tous nous fûmes illuminés par cet équipement et je vis que j’étais dans une sorte d’amphithéâtre : assis en haut derrière des vitres mes quatre professeurs me parlaient fort pour que je puisse entendre leurs ordres. Tout d’abord ils me firent m’approcher d’une paillasse carrelée sur laquelle je posai ma mallette. J’ouvris l’objet pour y trouver un plan, des instructions ainsi qu’un carnet et un nécessaire d’écriture. L’épreuve était simple : suivre ce plan avec les pièces disposées dans des caisses laissées à cet effet au pied du meuble. C’était donc un jeu de construction minuté avec bien entendu un jugement sur l’usage des bons outils ainsi que le raisonnement sur l’ordre de montage. Pas question d’échouer !
Au bout d’une heure à peine j’avais bien entendu terminé, le tout tenant plus d’un jouet pour enfant qu’autre chose. C’était une réduction d’un des organes de la chaudière de notre principal cours de mécanique : le fameux blindé noir. Je reconnus sans peine la soupape que j’avais martelée quelques semaines auparavant et n’eus aucune peine à le mettre en place. Je levai la main pour signifier la fin du montage et les professeurs descendirent pour réapparaître par une porte dans le fond de la pièce. Ils vinrent observer de près la maquette, la manipulèrent sans ménagement et me posèrent quelques questions élémentaires sur quelle clé pour tel boulon ou pourquoi la pince à bec et non celle à crochet. J’obtempérai en identifiant mes interrogateurs par leurs grades respectifs. Beaucoup de gens pensent qu’il est difficile de reconnaître un soldat de par ses galons, c’est tout le contraire : en quelques jours vous apprenez à lire une carrière sur un uniforme aussi vite que l’on lirait un dossier militaire.

On ne me donna pas de note, on me rappela l’obligation de discrétion sur l’épreuve puis on me reconduisit à ma chambrée sous bonne garde. Je dus donc rester ici jusqu’à la fin de la matinée pour être certain de ne pas venir en aide à mes camarades. De la même manière nous déjeunâmes de manière décalée pour éviter toute tricherie et la journée se termina dans un gymnase, toujours sous les regards de militaires résolument décidés à empêcher la fuite d’informations. Nous fûmes si intimidés que nous ne parlâmes même pas entre nous de ce que nous avions eus à faire. Qu’importe, la cloche sonna pour la dernière fois sur ce trimestre et je fus ravi d’apprendre que les résultats seraient affichés dès le lendemain matin, à l’heure habituelle de l’appel. Je me souvins alors que Térésa m’avait invité à prendre un pot… pour discuter. Je n’avais pas été très gentil et encore moins compréhensif, et là il me fallait faire un effort. Comme je n’étais pas supposé aller dans ses quartiers (puisque la mixité n’existe pas), j’attendis patiemment dans une allée. Le colonel me croisa et me demanda si je comptais sortir pour fêter la fin des examens. Mentir aurait été pire que tout et lui avoua que je ne savais pas trop quoi faire. Il me sourit et me répondit avec bonhomie que les examens terminés je n’étais plus tenu d’être sanctionné… puisque je n’étais plus aspirant à la STEAM. Sa réponse me laisse inquiet : plus élève, donc recalé ? Tant pis ! J’en avais fini avec la discipline, fini avec ces maudits cours m’arrachant neurones et cheveux par poignées !

Térésa arriva peu après et m’attrapa par le bras. Je n’eus pas le temps de réagir que nous dévalions déjà le campus pour sortir. Elle savait que j’étais sanctionné, mais elle ne laissa apparaître aucune inquiétude à ce sujet. Alors, si personne ne s’inquiétait pourquoi l’aurais-je été ? Nous descendîmes dans un quartier populaire au sud de la ville. C’était un endroit couru par les étudiants de tous poils tant pour les tarifs abordables que pour le côté convivial des tavernes. Vu le temps il n’était plus possible de songer aux terrasses, alors nous entrâmes dans un de ces endroits où les volutes de fumée et l’odeur de bière rance vous prennent à la gorge. Basse de plafond, éclairée par des lampes mal réglées et munie d’un unique comptoir terni par le temps et l’alcool, nous prîmes place à une table faite dans un vieux tonneau et nous installâmes sur deux tonnelets en guise de tabourets. Je commandai deux bières qu’on aromatisa d’un sirop amer, et m’allumai une cigarette prise dans un paquet de papier froissé. Térésa scruta mon regard et me demanda d’abord quelques banalités sur les examens. Elle me raconta ses épreuves qui bizarrement ne correspondaient pas du tout aux miennes. Nous en vînmes à comparer nos choix techniques et l’on finît notre verre pour en recommander un autre.
Autour de nous d’autres STEAM faisaient la fête, chacun allant de son chant de victoire, de sa tristesse d’avoir sûrement échoué ou bien juste de quelques vantardises classiques chez les étudiants déjà validés. Nous les regardâmes en souriant comme si nous n’étions plus du tout concernés par tout cela. Soudain, alors que je rêvassais à l’avenir, Térésa me saisit la main et me fixa.
- Que comptes-tu faire à présent ?
- Je ne sais plus trop Térésa. Je dois réussir pour trouver un travail, et rester dans l’armée me plaît de plus en plus. Je m’y sens à l’aise, je trouve qu’on a un véritable esprit de corps… mais toi et moi c’est interdit.
-Et tu me sacrifies ? Murmura-t-elle sur un ton qui tenait plus de l’affirmation que de la question.
- Je n’ai pas envie de te sacrifier, pas plus que de sacrifier ma carrière. Tu me demandes de faire un choix qui n’en est pas un, je perds quelque chose dans les deux cas Térésa.
- Moi je prends le risque…
Et elle ne finit pas sa phrase et m’embrassa longuement, tendrement, chaleureusement sur les lèvres. Je n’avais encore jamais enlacé de fille de ma vie et encore moins embrassé ainsi. Cela avait un goût de fruit rouge et acide comme un citron à la fois. Je me laissai alors emporter par cette chaleur, cette émotion qui me fit battre le cœur à tout rompre. Je ne pus lui dire non, pas plus que je ne pus refuser un tel don de soi. Elle me plaisait, je lui plaisais et puis tant pis pour le règlement !

Aucun commentaire: