vendredi 18 avril 2008

Episode 8

Le cours reprit sur la lecture d’un premier plan d’ensemble caractérisant la bête noire : longueur, largeur, hauteur, poids, empattement des essieux, épaisseur des zones carénées et enfin dimensions hors tout du moteur une fois déposé. Je ne me doutais absolument pas qu’une telle chose pouvait exister : douze tonnes, quatre mètres de long, deux et demi de large, deux mètres de hauteur, une cuve à vapeur de 350 litres. Tout était démesuré à mon échelle de débutant. Pourtant tous nous nous intéressâmes à la chose sans nous laisser démonter. Pas à pas nous identifiâmes les organes vitaux de cette machinerie, tels des étudiants en médecine effectuant la lecture d’une planche d’anatomie. Aussi surprenant que celui puisse paraître ceux qui furent les plus stupéfaits étaient justement ceux qui côtoyaient depuis toujours la technologie de la vapeur. En effet, ils furent les premiers soufflés par le fait que ce qu’ils connaissaient pouvaient être utilisés à d’autres fins qu’une filature ou la propulsion d’un navire. Pour eux, une machine à vapeur cela ne pouvait être que pacifique.
Lorsque enfin nous quittâmes le cours nous étions tous excités et épuisés à la fois. C’était fou, c’était aussi grandiose qu’étrange. A quoi bon enfoncer dans le crâne d’étudiants les plans d’un blindé si ce n’était pas pour qu’ils deviennent agents de son entretien ? D’après le professeur le modèle en question avait déjà été surclassé et que les derniers survivants de cette génération servaient de base de cours. Peut-être verrions nous des modèles plus récents, si toutefois nous passions avec succès la première épreuve. Encore une raison de plus de réussir me dis-je en engloutissant mon dîner.
Parlons des repas : le petit déjeuner était fait d’une boisson chaude au choix, d’un jus de fruit et d’une miche de pain complet. Charge à nous de digérer cette boule rugueuse et craquante pour tenir jusqu’au déjeuner. Les anciens et les officiers disposaient d’un complément sous la forme d’une tranche de jambon ou bien d’une margarine très odorante. On disait, tant par moquerie que par jalousie que ceux qui prenait la margarine auraient pu tout aussi bien se nourrir de graisse à roulements. Pour midi là par contre c’était un peu plus varié : trois légumes au choix, deux voire trois viandes, obligatoirement une soupe grasse et nourrissante et enfin un fruit ou un produit lacté comme dessert. Le soir, là c’était une tasse d’une boisson chaude aux choix et éventuellement des biscuits, quand les anciens et officiers n’avaient pas tout raflés. Avec le temps nous apprîmes comment réussir à en faire mettre de côté et ainsi savourer, nous aussi, des sablés durs comme du bois et fade au possible. C’était la seule chose de piètre qualité ici, mais la seule qui soit réconfortante après une journée de labeur.

Après les cours nous avions quartier libre sur le campus sans toutefois possibilité de sortir. Chacun pouvait choisir ses loisirs : un peu de sport dehors, des discussions dans un des nombreux mess prévus pour le repos, ou bien mieux encore étudier dans une salle d’étude ou dans sa chambre. Personnellement je choisis d’écrire à mes parents pour les prévenir. Je ne l’avais pas encore fait depuis mon arrivée…

Père, mère.

Bien arrivé à la capitale. Temps excellent, gens étranges et très énervés. Cela grouille et court dans tous les sens.

J’ai été accepté comme aspirant à la STEAM. Je suis nourri, logé et blanchi sur place. C’est confortable. Il y a énormément de travail, j’espère être reçu à la fin du trimestre.

J’essaierai d’avoir une permission pour venir vous voir.

Votre fils
Barto.

Je me gardai bien de dire tout ce que je ressentis à ce moment là vu que le courrier allait être lu par un étranger, et puis cela aurait servi à quoi de les inquiéter ? Moi-même je ne craignais pas particulièrement grand-chose, tout juste redoutais-je l’échec et donc d’être recalé. Faire tant d’efforts pour rien, cela aurait tenu de la bêtise la plus profonde. D’ailleurs dès le lendemain je fus étonné d’une tradition propre à la STEAM, du moins dans sa phase de première sélection. Chaque matin à l’appel nous eûmes droit à l’énoncé du nombre d’élèves exclus, du décompte de ceux qui démissionnaient, et ainsi finalement de ceux qui restent. Dès le deuxième matin j’entendis des résultats faisant froid dans le dos : dix renvois pour comportement inapproprié, dix-sept mises à pied pour une semaine. Sanction disciplinaire : corvées supplémentaires aux cours, soixante défections, dix malades présentés au médecin. « Vous êtes encore 703 à être aptes à suivre les cours. Bonne journée à la STEAM ». On ne pouvait guère faire plus explicite. On me chuchota à l’oreille que sur les 800 présents à la journée d’accueil guère plus de la moitié passait l’examen et qu’au surplus un bon nombre d’étudiants était recalé.

C’est fou quand j’y repense. Dès le premier jour je fus incorporé, en l’espace deux jours j’étais déjà un militaire à ma façon… et au bout de trois semaines j’avais déjà pour ainsi dire oublié la vie civile. La journée se rythmait à la cloche, mes nuits étaient courtes et mises à profit pour le repos, les jours sans cours je révisais. Tous nous étions ainsi, garçons et filles, tous convaincus que nous avions quelque chose à prouver autant à nous-mêmes qu’aux autres. C’était un honneur que d’avoir la médaille STEAM à la boutonnière et je la désirais aussi ardemment que les autres. Non en fait, je ne voulais plus que ça, c’était mon seul objectif.
Je fis la connaissance d’énormément de gens, aussi bien des aspirants que d’étudiants. Au départ, et vu les circonstances, je crus qu’aucun n’irait adresser la parole à un grade inférieure. Rien n’était plus faux : en effet, tous étaient également notés sur leur capacité à nous gérer et nous donner des ordres. De ce fait, difficile de ne pas faire connaissance ou de jouer les indifférents face à nous. De plus, ils avaient subi le même traitement à leur arrivée. Ca crée des liens, en quelque sorte. Pourtant je crois que je n’eus pas vraiment de chance concernant celui qui serait notre « sous-officier responsable ». C’était un troisième année, un grand gaillard un peu plus âgé que moi nommé Otto Borgward. Une pourriture, mais une vraie celle-là. C’était un vrai spécialiste pour passer sa frustration sur nous, car pour un troisième année gérer un aspirant c’était en général soit une marque de manque de confiance dans les capacités de commandement, soit une sanction. Jamais nous ne sûmes le fin mot de l’histoire, mais quoi qu’il en soit il nous en fit baver… moi en particulier. J’ignore pourquoi mais il m’eut dans le nez dès notre première rencontre. Rien n’était assez vicieux pour me piéger ou me mettre en colère : un petit sabotage bien senti de l’uniforme, des dégâts sur mes devoirs. Plus d’une fois je dus m’excuser auprès des professeurs, feignant d’être responsable de ces vacheries. Pouvais-je le dénoncer ? Bien sûr ! Et après, comment m’aurait-on traité ? En « donneuse », en cafteur trop lâche pour se gérer lui-même. Et puis, sale con ou pas les autres troisième année l’aurait soutenu sans hésitation. Je n’étais personne et eux étaient presque au bout du cycle. Je fis donc tout pour l’éviter pendant le premier mois, juste histoire qu’il m’oublie suffisamment pour avoir la paix. Ce ne fut bien entendu pas suffisant pour que je ne sois plus dans son collimateur…

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