mercredi 16 avril 2008

Episode 6

Des élèves de seconde année (ce que j’appris que par la suite à reconnaître), nous placèrent par section, classe et taille. A chaque tête de peloton ces élèves nous regardèrent et nous montrèrent les rudiments : le garde à vous, le repos et le salut. Ils nous firent répéter jusqu’à ce que la manœuvre fut suffisamment maîtrisée pour être présentable. Je remarquai alors la présence de jeunes filles qui, elles aussi, portaient l’uniforme réglementaire. Toutes étaient coiffées à l’identique, un strict carré au ras de la nuque. Certaines reniflaient et avaient les yeux rougis, elles pleuraient probablement la perte d’une longue natte ou de beaux cheveux. Pour la plupart en revanche, le regard semblait s’être affirmé suite à cette première épreuve. J’entendis un « garde à vous ! » auquel les talons répondirent d’un claquement sec, puis je vis sur une estrade plusieurs hommes nous observer avec attention. Celui qui me semblait le plus décoré s’avança, salua avec une rectitude toute militaire et lança un « repos » que nous exécutâmes avec soin. Il était de haute taille, la coupe identique à la nôtre à la différence de la blancheur de ses cheveux, svelte et sûrement en excellente condition physique. La chose qui me marqua le plus fut ce fut la façon dont ses muscles jouaient sous l’uniforme. Il tenait plus du félin que de l’ours tant il me parut souple et tendu.

Chers aspirants, je me présente, je suis le commandant Ternarber, directeur et responsable de la faculté STEAM. A partir d’aujourd’hui vous êtes tous sous ma responsabilité et par conséquent sous mes ordres. Le régime ici est très simple : tout soldat doit respect et obéissance à son supérieur, ce qui a pour conséquence qu’à chaque année réussie vous montez de grade. Vous serez soumis à un premier trimestre éliminatoire, c'est-à-dire que tout échec à ce test est exclu.
Vous serez nourris, blanchis et logés par la faculté. Trois repas par jour à heures fixes. Douche deux fois par semaine. La sonnerie dicte le rythme de la journée, écoutez la avec attention. Extinction des feus signalée par sonnerie, tout retard dans la chambrée devra être justifié auprès du personnel de garde. Tout manquement à ces règles pourra être sanctionné par une exclusion définitive. Permission de sortie de deux jours tous les quinze jours, possibilité d’autorisation exceptionnelle sur demande auprès de vos officiers de tutelle. Toute communication avec l’extérieur sera réglementée. La STEAM dispose d’un service courrier. Utilisez le, celui-ci est gratuit. Le courrier sera lu et si nécessaire censuré. Tout aspirant sera susceptible de s’expliquer sur le contenu des courriers écrits par ses soins.
Organisation de la semaine : cinq jours de cours, deux de repos. Les travaux seront planifiés par vos officiers, prenez en bonne note. Nous fournissons le matériel, inutile d’en acheter de supplémentaire. Les cours se répartissent entre trois catégories : théorie, pratique et activités physiques. Le test trimestriel portera sur les trois domaines à parts égales, donc ne négligez pas un seul point de votre formation. Les travaux théoriques se baseront sur des ouvrages que nous vous fournirons à la fin de cette présentation. Prenez en soin, toute dégradation vous sera facturée.
Pour finir, si vous respectez les règles, et que vous accédez à une note validant votre entrée vous obtiendrez cet écusson en argent : il représente le vaporiste et son art. L’engrenage et le nuage de vapeur. Vous les porterez en toute circonstance, et ils seront pour vous symbole de fierté et de fratrie. Chaque année réussie et validée par examen vous obtiendrez également un grade supplémentaire et une revalorisation de votre solde. Les aspirants ne sont pas payés, alors si vous avez besoin d’argent profitez dès votre première liberté pour contacter de la famille ou une banque. A la fin du cycle complet vous serez, ceux qui seront encore là, des vaporistes confirmés et diplômés. Vous devrez alors cinq années de service pour l’armée, ces années n’étant pas nécessairement consécutives. Votre expertise et vos compétences seront alors mises à contribution pour l’amélioration et le maintien d’une technologie de haut niveau dans notre pays.

C’est tout.

Il descendit de l’estrade et les deuxièmes années nous donnèrent l’ordre de rejoindre nos chambrées. Chaque bâtiment portait le numéro d’une unité correspondant à celle de notre matricule, ce qui m’évita plus d’une fois de me perdre. Nous entrâmes dans les dortoirs, exténués, stressés et terrifiés par ce qu’on venait de nous annoncer : un concours ! Moi qui avais crû qu’être aspirant faisait tout, j’en étais quitte d’une nouvelle et pénible déception. Il commençait à faire nuit et les lampes à gaz s’allumèrent au plafond. Chaque chambrée disposait de vingt lits au bout duquel se trouvait un petit pupitre et une chaise en bois. Dedans nous trouvâmes trois livres, un bloc de feuilles de papier et une boîte métallique contenant un stylo et une plume ainsi qu’un encrier. Je fus marqué à jamais par les titres de ces ouvrages : La vapeur, bonnes pratiques de conception ; Mécanique générale et dessin technique ; Mécanique des fluides premier niveau. Tous nous nous plongeâmes dans ces ouvrages et je constatai avec effroi que Wicca avait hélas totalement raison. Tout ceci me parut invraisemblablement complexe à lire, en particulier les schémas de systèmes hydrauliques. Qu’est ce qu’un flux laminaire ? Pourquoi la pression doit être contrôlée dans un condenseur ?

De l’entrée on nous ordonna de nous dévêtir et de nous préparer pour l’extinction des feux. Je posai mes brodequins au pied du lit, rangea mes vêtements dans un panier placé sous le lit puis m’allongea prestement. Quelques instants après nous entendîmes sonner trois fois une cloche, puis un sifflement cessa. La lumière au gaz s’éteint et nous fûmes plongés dans l’obscurité. Dormir ? Comment faire pour dormir après tant d’émotions ?! Je scrutai le plafond en appelant de mes vœux la fatigue quand je sentis une main se poser sur mon épaule. Je me retins pour ne pas crier et entendis un « chut » très discret. En me tournant je vis un des garçons avec qui j’étais au garde à vous dans la cour.
- Motermil Ramsham, tu peux m’appeler Mot’.
- Barto Röner. Enchanté. Fais gaffe il y a peut-être des rondes !
- Ne te fais pas de bile, mon frère a fait STEAM. Il dit qu’ils font ça pour nous foutre la trouille et qu’après le trimestre ça va un peu mieux.
- Tu viens d’où ? Demandais-je en chuchotant.
- Des côtes de l’ouest, un village de pêcheur appelé Kaermin.
- Moi de l’est, une petite ville, Hohneheim.
- Tu crois qu’on va réussir ?
- J’en sais rien, j’ai ouvert les livres. Ca a l’air très difficile.
- Et ça l’est ! On en parle demain tu veux ?
- A demain, dors bien !
- Toi aussi !

Ce fut ma première nuit, la plus terrible entre toutes là-bas. Terrorisé par cette vie d’ascète, effrayé par les cris de ceux qui regrettaient leur choix et tétanisé face à l’ampleur de la tâche, je ne pus m’empêcher de songer à mes parents qui devaient s’inquiéter pour moi. Je me devais de les prévenir que tout allait bien. Je le ferai le lendemain me dis-je en m’endormant.

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