jeudi 17 avril 2008

Episode 7

Dès le petit matin nous fûmes tirés de nos couchettes par les ordres donnés par les chefs de chambrées. Tous étaient des élèves plus âgés et donc plus gradés. Je ne compte plus le nombre de fois que j’entendis ces sempiternelles phrases à exécuter : « Debout ! En rang ! Habillez vous ! Ceinturon ! Casquette ! En avant en rang ! » Et ainsi de suite. J’étais déjà un automate, une mécanique prête à obéir sans rechigner. De toute façon j’avais l’esprit si embrumé par le manque de sommeil que je ne pus réagir que de manière très automatique. Je vis des élèves se saisir de leurs livres, ce qui fit tiquer le chef de chambrée qui hurla un « Pas de livre ! Vous les prendre plus tard ! Pour le moment en avant ! » .

Il ne faisait pas encore jour quand nous rejoignîmes la cour extérieure. En rangs, alignés et prêts à parti en formation. Des professeurs se placèrent devant nous et appelèrent leurs classes. Classe 1 : mécanique théorique. Classe 2 : Education physique… Quand ce fut notre tour nous fûmes orienté vers le cours de mécanique pratique. Nous suivîmes le professeur dans un silence tout monacal. Il n’était pas très grand, plutôt dégarni et un peu rond, mais il portait encore fort bien l’uniforme. Ses cheveux noirs semblaient avoir été plantés au hasard sur son crâne qui brillait un peu Colonel professeur Mardrek, expert en mécanique pratique, formateur en technologie de la vapeur, spécialiste des dispositifs de combustion et j’en passe. Une pointure dans le domaine. A lui seul il avait déjà déposé une trentaine de brevets que seul l’armée pouvait utiliser, et qui furent vendus à prix d’or à l’industrie civile. Comme quoi, au lieu de financer l’armée par les impôts la nôtre se finançait indirectement sur les civils sans qu’ils s’en rendent compte. Malin non ? Toujours est-il que nous prîmes le même chemin que lui pour aller pénétrer un bâtiment de haute taille situé à l’écart. Aussi bizarre que cela pouvait paraître, il tenait plus du hangar que de la salle de classe, notamment de par l’absence flagrante de fenêtre dans les bas étages. Tout en haut, juste sous les gouttières la bâtisse était cernée de hautes fenêtres sûrement suffisantes pour éclairer des pièces très hautes.
On nous fit tout d’abord pénétrer par une petite porte qui donnait sur un vestiaire. Les filles partirent d’un côté, les garçons de l’autre. On nous donna à chacun un jeton numéroté ainsi qu’un tablier de cuir puis nous passâmes au magasin : C’était une espèce de grand hall d’accueil grillagé derrière lequel se tenait les magasiniers et les étals de matériel. En passant au comptoir nous échangeâmes le jeton contre une caisse à outils, puis nous passâmes dans la salle de cours. En fait de salle l’entrepôt était coupé en quatre sections de taille équivalentes, chacune pouvant aisément recevoir un dirigeable tant en longueur qu’en hauteur. En plus de ces salles il y avait attenante à chacune d’elle une salle d’usinage ainsi que pour tous une grande pièce d’eau pour l’hygiène et un stock de pièces détachées. L’atelier d’usinage était à lui seul une merveille qui disposait du fleuron des machines outils : tours horizontaux, étaux limeurs, perceuses, fraiseuses, bref le rêve de tout mécanicien qui se respectait. Cernée d’établis avec en son centre une estrade munie d’un bureau et d’une forte table métallique, notre salle de formation était visiblement prévue pour recevoir non seulement des machines imposantes mais en plus était équipé pour parer à toute éventualité.

Notre professeur nous fit disposer des bancs afin que nous puissions l’écouter avec attention. Il monta les trois marches de l’estrade et dévoila une maquette cachée sous une toile : c’était un engin étrange (à l’époque) qui tenait tant du train que du bateau de guerre avec ce qui ressemblait à une tourelle. Il nous sourit et nous expliqua en termes simples et clairs que notre trimestre porterait sur la compréhension de ce véhicule et qu’il était indispensable d’en connaître le moindre rouage pour passer l’examen avec succès. La classe serait divisée en quatre groupes qui changeraient toutes les deux semaines de manière à ce que chacun puisse travailler avec tout le monde. A chaque fin de semaine nous allions être évalué sur la prise de connaissance de chacun des postes étudiés, puis finalement l’épreuve finale allait porter sur une manipulation mécanique ou une modification à apporter à l’existant. L’épreuve était prévue pour quatre heures d’étude de texte, puis quatre heures de pratique. D’après le colonel Mardrek nous n’avions pas intérêt à chômer car (je le cite) « Ce machin est déjà un poil périmé mais il est très complexe, mais fiable. N’espérez pas le mettre en défaut facilement ni croire qu’il est facile à cerner. Il y a de tout, depuis de la chaîne en passant par des cinématiques à bielles en passant par du moteur à vapeur. Tous ces aspects devront finir par être familiers pour que vous en parliez comme si c’était votre seconde nature. ».Je me le tins pour dit : il me fallait m’approprier cet engin, le connaître, le décortiquer pour qu’il me permette d’obtenir le sésame indispensable aux cinq années d’étude à la STEAM.

D’entrée de jeu il fit signe à un assistant d’ouvrir une immense porte représentant quasiment toute la façade de l’entrepôt. Nous écoutâmes avec étonnement le grognement des pignons actionnant la porte ainsi que le sifflement d’une pompe à vapeur. Les panneaux de tôle coulissèrent et nous vîmes alors apparaître le véhicule blindé. Il faisait un bruit terrible sur ses chenilles, il fumait à n’en plus finir, tant par sa chaudière que par ses soupapes de régulation. Intégralement peint en noir excepté un numéro peint en blanc sur le flanc, il vibrait et semblait respirer telle une bête féroce totalement enragée. Il écumait littéralement. Une fois la porte largement ouverte, le conducteur dont on n’apercevait que la tête dépassant à peine du bas châssis poussa des manivelles et l’engin s’avança dans un vacarme assourdissant. Ses roues en fer écrasaient les chenilles du même métal, et le tout rampait plus que cela ne roulait. Une fois grimpé sur la partie métallique de présentation, le conducteur arrêta le blindé en purgeant la vapeur contenue dans la chaudière. Nous sentîmes alors l’odeur âcre de graisse brûlée ainsi que celle de combustion d’un produit bizarre appelé pétrole.
Le professeur s’avança, le conducteur salua avec entrain puis s’éclipsa rapidement. Le colonel tâta alors la bête d’acier, caressa ses flancs comme un pâtre flattant ses moutons. Il nous sourit, ajusta ses lunettes en demi-lunes et commença une nouvelle explication sommaire : taille, poids, puissance, mode de propulsion, description des suspensions… nous n’avions pas pris notre nécessaire pour écrire, ce que fit remarquer un étudiant un peu plus courageux que les autres. Le professeur répondit alors qu’on nous remettrait dans un instant plans et caractéristiques de la bête, et que pour le moment il était nécessaire que nous en commencions la lecture attentive.

Nous passâmes ainsi la matinée à bûcher sans arrêt, sans lever la tête de cette notice épaisse comme un livre et détaillée à vous en faire perdre le sens de la mesure. Une fois la clochée sonnée nous partîmes déjeuner, toujours encadré par un élève plus vieux que nous. C’était bien entendu temporaire, le temps que nous prenions connaissance des locaux. Par la suite nous devions être autonomes et respecter l’horaire sous peine de sanction disciplinaire.
Le self était assez bon, quoi que purent en penser ceux nés à la ville. Pour ma part aucun restaurant de ma ville n’avait une telle diversité et encore moins une telle qualité de produits frais. Somme toute je constatai avec plaisir que la réputation de l’armée nourrissant bien ses troupes était tout à fait légitime. Nous discutâmes à bâtons rompus de cette mise en jambes : un tel trouvait le tout trop strict et militaire, un autre le projet de connaître cette machine trop ambitieux, une dernière ajoutant qu’on avait tous besoin les uns des autres pour réussir, ce en quoi elle avait totalement raison. Sans travail d’équipe… inutile de rêver jamais je n’aurais pu intégralement comprendre cette bestiole de fer peinte en noir.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci à bientot pour la suite que nous attendons tous evidemment :)