Une fois le lourd portail passé, je choisis de suivre la foule circulant sous l’immense tour peu accueillante. Pas après pas je pus voir que non contente d’être orgueilleusement dressée comme un phare au milieu de la caserne, celle-ci avait à sa base un grand passage voûté suffisamment large pour que deux calèches puissent se croiser sans risque. A chaque extrémité de ce tunnel de briques attendaient des gardes armés d’un fusil, au garde à vous et observant droit devant eux. Protocole quand tu nous tiens… Leur uniforme était du même bleu foncé que celui des autres personnes présentes, mais les boutons dorés des vestes à col droit étaient gris acier, et pardessus la tenue réglementaire était enfilée une lourde capote de laine noire sans la moindre trace de fanfreluche. Tout dédié à l’efficacité, cet uniforme aurait tout aussi bien pu servir directement sur le champ de bataille. La seule chose qui montrait que ces hommes étaient là pour la parade était le cirage irréprochable de leurs brodequins et la blancheur de leurs guêtres. Nul doute qu’ils avaient des heures d’entretien ne serait-ce que pour accéder à ce poste. En passant dans l’ombre opportune de l’arche, je constatai que la STEAM était mixte. Ce fut une véritable surprise car même une fois à l’école supérieure garçons et filles étaient séparées. Ceci dit, les filles portaient les mêmes uniformes que les garçons, donc difficile de dire s’il s’agissait d’une décision contre la discrimination ou pour l’uniformisation…
C’est dans la gigantesque cour carrée que je fus vraiment saisi par la taille des bâtiments. Tout autour de ce grand volume dédié aux arbres et aux buissons fleuris un chemin de garde, comme dans les cloîtres, permettait aux gens de défiler sans venir couper l’espace vert central. Soutenus par de grosses colonnes droites sans fioritures, les plafonds et voûtes ne présentaient guère de décorations en dehors d’un rappel constant des devises de l’école : devoir, science, respect, obéissance. Tout un programme. Après un petit moment pris pour absorber la force des lieux, je repris mon chemin en marchant d’un bon pas sur le dallage de pierre. Mes talons ferrés claquaient avec vigueur tout comme les bottes que portait tout le monde. Cela m’évita de me faire immédiatement remarquer, quoi que je ne fus pas vraiment à ma place avec mes vêtements de civil. Je pris la droite de la cour et pénétra dans le bâtiment par une haute double porte en bois massif grande ouverte sur un hall digne d’une gare. En son centre trônait un long comptoir derrière lequel travaillaient une bonne dizaine de personnes. On entendait clairement le murmure des gens et plus indistinctement le grattement de la plume d’acier sur le papier des documents. Je me plaçai dans la queue quand on m’invita à rejoindre un poste s’ouvrant à l’instant. Tout heureux de ne pas avoir à attendre plus longtemps, je rejoins alors un homme d’une quarantaine d’années qui se saisit de mes documents, me dévisagea et me tendit un formulaire ainsi qu’un appareil étrange. « Tu n’as jamais vu un stylo je suppose » lança-t-il en souriant. Je fis signe de la tête que non, et il me montra que cette invention permettait d’écrire sans plume et qu’il était plus aisé avec cet engin miraculeux de remplir les dossiers qu’avec quoi que ce soit. Il me montra des pupitres puis invita la personne suivante à s’approcher.
Maudites administrations ! Je dus me résoudre à rappeler les noms de mes parents, des informations dont je ne voyais pas l’utilité sur ma religion ou mes anciens emplois, un certain nombre de détails sur comment j’avais connu la STEAM… enfin toute ma vie résumée sur deux feuillets à recopier deux fois. Je pris quelques minutes à réfléchir et me gratter la nuque pour tenter de me souvenir du nom de jeune fille de ma grand-mère, ainsi que le nombre de frères et sœurs de mes parents. Je n’ai jamais connu mes oncles et tantes, ceux-ci ayant pour la plupart émigrés l’étranger. Cependant, après une bonne demie heure de travail, je pus enfin remettre les documents au même comptoir. Le soldat lut en diagonale mes informations, et avant même que je pus dire quoi que ce soit me désigna un numéro de bureau et un numéro d’étage où je devais me présenter. Pas de rendez-vous chez le recteur ? Il rit de mon incrédulité puis me signifia qu’il était urgent que j’y aille.
Tout était fonctionnel : portes sans décoration, pas de tableaux ou presque, peu d’indications autres que celles nécessaires, plus j’avançais plus je constatais que c’était bien d’une caserne et non d’une école qu’il s’agissait. L’escalier témoignait à lui seul de ce soin apporté à ne pas être distrayant : gris, uniforme, parfaitement taillé, avec pour seule rampe un tube peint en noir et comme garde fou une balustrade aussi sommaire que la rampe. Une fois arrivé au deuxième étage, je pus constater que les bâtiments étaient aussi carrés que leurs architectes : cour carrée, chemin de garde carré, couloirs suivant le chemin d’un carré… je remontai donc ce nouveau quadrilatère pour arriver au bureau 37. Je frappai à la porte et l’on m’invita à entrer. Là, une femme d’environ quarante ans m’invita à m’asseoir sur un tabouret posé face à son bureau. Sans mot dire elle lut mes documents, agrémenta de quelques « hum, hum » sa lecture, se leva et me serra à la main. « Bienvenue à la STEAM jeune homme. Passez cette porte pour prendre votre paquetage et suivez les ordres des aspirants qui se trouveront à chaque étape ». Avant d’avoir eu le temps de signer quelque engagement que ce soit ou de discuter elle me poussa avec entrain dans la pièce suivante. Quelle folie ! C’était un long couloir très large qui répartissait de part et d’autre des postes pour récupérer un uniforme et quelques objets supplémentaires. Je vis une colonne d’environ quinze civils comme moi qui faisaient le même trajet, allant de gauche à droite pour se saisir d’une nouvelle pièce de leur nouvelle vie. Tout au bout un homme de haute taille, visiblement un officier tonnait des ordres fermes et définitifs : « le silence est exigé, ne parlez que si vous y êtes invité. Répondez clairement par oui, non ou bien un numéro. Prenez chaque pièce et rangez la dans le sac que vous prenez à l’entrée ». Que faire ? Refuser ? C’était déjà trop tard pour reculer…
Une fois mon attirail pris, je refis le point : un uniforme, des brodequins à ma pointure, une capote, une casquette, deux chemises, trois sous pulls, deux paires de chaussettes, trois caleçons dont un long, un grand sac à dos en cuir noir et un ceinturon garni de trousses diverses. A quoi aillais-je ressembler ? A rien me dis-je quand je passai au bout du couloir. Là deux panneaux m’indiquèrent un autre changement : douche et coiffeur. Coiffeur ? Mes cheveux noirs étaient relativement longs et je me voyais déjà tondu comme un œuf…. Je pénétrai comme les autres dans le local, on me fit m’asseoir, on plaça sur mes épaules un grand morceau de toile cirée puis une tondeuse à main vint hacher ma tignasse. En quelques instants j’eus la coupe réglementaire de neuf millimètres, puis je fus envoyé dans la douche. A poil me hurla-t-on depuis une pièce attenante. Je m’exécutai et passa mon corps sous les jets d’eau très chaude sentant le désinfectant. En ressortant on ne me remit qu’une grande serviette et mon bardas. Voilà, c’en était fini de Barto Röner, j’étais le nouvel aspirant de première année Rôner, matricule 15-493-11. Année 15, élève de la 493ème brigade de la classe 11. Tout un programme… Je suivis les autres sous les ordres d’autres étudiants qui eux avaient une barrette cousue sur l’épaule. « Deuxième année, ne les emmerde pas, fais ce qu’ils disent » me chuchota un autre arrivant. On se revoit dans les piaules ! »
On nous fit descendre d’autres escaliers pour rejoindre une grande cour à l’arrière des bâtiments, puis mis en ligne comme pour un défilé. Tout du long j’entendis les imprécations nous intimant l’ordre d’accélérer le pas, ce que je fis de crainte d’être sanctionné dès le premier jour. Quelle ambiance ! De quoi vouloir repartir avant même d’avoir commencé !
C’est dans la gigantesque cour carrée que je fus vraiment saisi par la taille des bâtiments. Tout autour de ce grand volume dédié aux arbres et aux buissons fleuris un chemin de garde, comme dans les cloîtres, permettait aux gens de défiler sans venir couper l’espace vert central. Soutenus par de grosses colonnes droites sans fioritures, les plafonds et voûtes ne présentaient guère de décorations en dehors d’un rappel constant des devises de l’école : devoir, science, respect, obéissance. Tout un programme. Après un petit moment pris pour absorber la force des lieux, je repris mon chemin en marchant d’un bon pas sur le dallage de pierre. Mes talons ferrés claquaient avec vigueur tout comme les bottes que portait tout le monde. Cela m’évita de me faire immédiatement remarquer, quoi que je ne fus pas vraiment à ma place avec mes vêtements de civil. Je pris la droite de la cour et pénétra dans le bâtiment par une haute double porte en bois massif grande ouverte sur un hall digne d’une gare. En son centre trônait un long comptoir derrière lequel travaillaient une bonne dizaine de personnes. On entendait clairement le murmure des gens et plus indistinctement le grattement de la plume d’acier sur le papier des documents. Je me plaçai dans la queue quand on m’invita à rejoindre un poste s’ouvrant à l’instant. Tout heureux de ne pas avoir à attendre plus longtemps, je rejoins alors un homme d’une quarantaine d’années qui se saisit de mes documents, me dévisagea et me tendit un formulaire ainsi qu’un appareil étrange. « Tu n’as jamais vu un stylo je suppose » lança-t-il en souriant. Je fis signe de la tête que non, et il me montra que cette invention permettait d’écrire sans plume et qu’il était plus aisé avec cet engin miraculeux de remplir les dossiers qu’avec quoi que ce soit. Il me montra des pupitres puis invita la personne suivante à s’approcher.
Maudites administrations ! Je dus me résoudre à rappeler les noms de mes parents, des informations dont je ne voyais pas l’utilité sur ma religion ou mes anciens emplois, un certain nombre de détails sur comment j’avais connu la STEAM… enfin toute ma vie résumée sur deux feuillets à recopier deux fois. Je pris quelques minutes à réfléchir et me gratter la nuque pour tenter de me souvenir du nom de jeune fille de ma grand-mère, ainsi que le nombre de frères et sœurs de mes parents. Je n’ai jamais connu mes oncles et tantes, ceux-ci ayant pour la plupart émigrés l’étranger. Cependant, après une bonne demie heure de travail, je pus enfin remettre les documents au même comptoir. Le soldat lut en diagonale mes informations, et avant même que je pus dire quoi que ce soit me désigna un numéro de bureau et un numéro d’étage où je devais me présenter. Pas de rendez-vous chez le recteur ? Il rit de mon incrédulité puis me signifia qu’il était urgent que j’y aille.
Tout était fonctionnel : portes sans décoration, pas de tableaux ou presque, peu d’indications autres que celles nécessaires, plus j’avançais plus je constatais que c’était bien d’une caserne et non d’une école qu’il s’agissait. L’escalier témoignait à lui seul de ce soin apporté à ne pas être distrayant : gris, uniforme, parfaitement taillé, avec pour seule rampe un tube peint en noir et comme garde fou une balustrade aussi sommaire que la rampe. Une fois arrivé au deuxième étage, je pus constater que les bâtiments étaient aussi carrés que leurs architectes : cour carrée, chemin de garde carré, couloirs suivant le chemin d’un carré… je remontai donc ce nouveau quadrilatère pour arriver au bureau 37. Je frappai à la porte et l’on m’invita à entrer. Là, une femme d’environ quarante ans m’invita à m’asseoir sur un tabouret posé face à son bureau. Sans mot dire elle lut mes documents, agrémenta de quelques « hum, hum » sa lecture, se leva et me serra à la main. « Bienvenue à la STEAM jeune homme. Passez cette porte pour prendre votre paquetage et suivez les ordres des aspirants qui se trouveront à chaque étape ». Avant d’avoir eu le temps de signer quelque engagement que ce soit ou de discuter elle me poussa avec entrain dans la pièce suivante. Quelle folie ! C’était un long couloir très large qui répartissait de part et d’autre des postes pour récupérer un uniforme et quelques objets supplémentaires. Je vis une colonne d’environ quinze civils comme moi qui faisaient le même trajet, allant de gauche à droite pour se saisir d’une nouvelle pièce de leur nouvelle vie. Tout au bout un homme de haute taille, visiblement un officier tonnait des ordres fermes et définitifs : « le silence est exigé, ne parlez que si vous y êtes invité. Répondez clairement par oui, non ou bien un numéro. Prenez chaque pièce et rangez la dans le sac que vous prenez à l’entrée ». Que faire ? Refuser ? C’était déjà trop tard pour reculer…
Une fois mon attirail pris, je refis le point : un uniforme, des brodequins à ma pointure, une capote, une casquette, deux chemises, trois sous pulls, deux paires de chaussettes, trois caleçons dont un long, un grand sac à dos en cuir noir et un ceinturon garni de trousses diverses. A quoi aillais-je ressembler ? A rien me dis-je quand je passai au bout du couloir. Là deux panneaux m’indiquèrent un autre changement : douche et coiffeur. Coiffeur ? Mes cheveux noirs étaient relativement longs et je me voyais déjà tondu comme un œuf…. Je pénétrai comme les autres dans le local, on me fit m’asseoir, on plaça sur mes épaules un grand morceau de toile cirée puis une tondeuse à main vint hacher ma tignasse. En quelques instants j’eus la coupe réglementaire de neuf millimètres, puis je fus envoyé dans la douche. A poil me hurla-t-on depuis une pièce attenante. Je m’exécutai et passa mon corps sous les jets d’eau très chaude sentant le désinfectant. En ressortant on ne me remit qu’une grande serviette et mon bardas. Voilà, c’en était fini de Barto Röner, j’étais le nouvel aspirant de première année Rôner, matricule 15-493-11. Année 15, élève de la 493ème brigade de la classe 11. Tout un programme… Je suivis les autres sous les ordres d’autres étudiants qui eux avaient une barrette cousue sur l’épaule. « Deuxième année, ne les emmerde pas, fais ce qu’ils disent » me chuchota un autre arrivant. On se revoit dans les piaules ! »
On nous fit descendre d’autres escaliers pour rejoindre une grande cour à l’arrière des bâtiments, puis mis en ligne comme pour un défilé. Tout du long j’entendis les imprécations nous intimant l’ordre d’accélérer le pas, ce que je fis de crainte d’être sanctionné dès le premier jour. Quelle ambiance ! De quoi vouloir repartir avant même d’avoir commencé !
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