Je n'avais pas remarqué le changement dans les rues. L'arrêt fut marqué juste à côté d'une épicerie aux stores vert clair. Je me tins devant la vitrine, admirant les fruits et les légumes dont la plupart étaient introuvables chez moi. Je me souvenais de l'odeur de certains de ces fruits en confiture, mais jamais je ne les avais vus autrement qu'en purée sucrée. Le commerçant me remarqua et s'approcha en me dévisageant. Il était plutôt fort, dégarni, et vêtu d'un pantalon grossier en lin et d'un tablier de boucher taché. Il m'indiqua poliment le chemin vers un autre arrêt puis je me mis à déambuler dans le quartier. Contrairement au quartier de la gare il me sembla que le coin était plus populaire et bigarré. Les rues étaient pavées, les lampadaires au gaz moins acrobatiques et les fenêtres garnies de linge à sécher. Côte à côte se trouvaient aussi bien un bar aux vitres crasseuses qu'un barbier à la devanture immaculée, et sur le trottoir une ribambelle de roulottes. Tissus, vêtements, parfums, tout était là sous mes yeux ébahis. Ces poissons, d'où pouvaient-ils venir? Moi qui n’avais goûté que ceux en provenance du ruisseau, voilà de quoi me changer de simples fritures! Il me fallait pourtant me dépêcher de sorte à arriver à la faculté et me faire conseiller. En dehors du nom du recteur et d'un sac à dos, je n'avais guère les moyens de traîner par ici. Au loin les nuages étaient constamment noir, mais noir suie et pas gris noir orage. Probablement que les cheminées des usines et ateliers crachaient la puissance de leurs chaudières poussées au rouge.
J'écoutais tranquillement les éclats de voix des camelots quand un cri retentit "Poussez-vous!" Brailla la voix. Les gens sautèrent de part et d'autre de la route tandis qu'un nuage de fumée blanche fonçait sur nous. Le bruit était terrible, métallique, comme un train emballé, mais dans la rue. Juste à temps j'en fis autant et me retrouva assis dans un tas de détritus, bien heureux d'avoir évité le monstre de métal. Du regard je suivis alors la course du drôle d'engin aux roues démesurées. Il me sembla voir deux personnes littéralement attachées aux commandes, s'agitant et tentant sûrement d'arrêter l'engin avant l'accident... Si seulement la rue n'était pas en té! Dans un immense fracas la chaudière se plia contre la façade de briques, fit voler des fenêtres en éclats qui retombèrent comme une neige de cristal. Les tuyaux se fendirent, s'arrachèrent et lâchèrent une quantité incroyable de vapeur. Tout le quartier se retrouva pris dans un brouillard indescriptible, tandis que la foule reprit ses affaires comme si de rien n'était. D'un pas rapide je me rendis sur place afin de voir s'il n'y avait pas de blessé.
Dès que je fus à la hauteur de la machine je pus constater le désastre: la cabine, du moins ce qui semblait l'être n'était plus qu'un amas de bois et de tôle pliée. Tandis que je regardai les débris en quête d'un survivant une main gantée sortit d'un coup à quelques centimètres de mon visage. Paniqué je fis un bond, puis me ravisa et saisis la main. De tout mon poids je fis basculer le corps qui vint à moi. C'était une personne vêtue d'une grande combinaison en coton fort qui fut un jour immaculée, renforcée de pièces de cuir aux articulations et au plastron. La tête engoncée dans un casque cabossé, le visage était recouvert d'un large chiffon gris cendre et de lunettes aux verres épais. La personne marmonna quelque chose puis se mit à jeter les bouts de son engin en vociférant quelque chose. "Pa... , humm humm... pa ..!!" De plus en plus excité, le mécanicien (ou ce que je supposais l'être) fit voler des morceaux dans ma direction, ce qui me décida à l'aider. Une plaque, puis encore une autre, des briques... quel foutoir! Et là, sous cet amoncellement, un corps. Le mécano se pencha, saisit le corps inanimé par les épaules et le secoua avec vigueur. Terrifié je lui intimai l'ordre de cesser cela sans soin, ce à quoi j'eus comme réponse une poussée du plat de la main. Le mécano jeta ses gros gants de cuir et je remarquai immédiatement que ce n'était pas des mains d'homme, mais plutôt de femme faisant de la mécanique. Les jointures sales, les ongles coupés courts, mais les doigts trop fluets... Elle ôta son casque, jeta ses lunettes et le chiffon lui protégeant le visage et hurla dans les oreilles de l'homme encore sonné "Papa! Réveille-toi!"
S'en suivit sur le champ une dispute mémorable...
- Idiote! Quelle idée de pousser la machine à ce régime?! On a failli se tuer!
- Et toi quand je t'ai dit de surveiller les soupapes ce n'était pas pour faire joli! Tu as fait sauter les sécurités!
- non c'est toi la dingue de nous deux! Mais comment diable ai je pu avoir une fille comme toi? Pourquoi tu ne t'es pas mariée?
- Pour t'aider à l'atelier!
- Ou me tuer avant l'âge!
- Dingo!
- hystérique!
- Guignol!
- Incompétent!
- Mécanicienne de seconde zone...
Je m'en fus alors sur ces mots de manière à ne pas me trouver mêlé à cette belle dispute familiale. Juste au coin il y avait le trolley dont m'avait parlé l'autre chauffeur. Décidé à ne pas rater mon entrée à la faculté, je me dirigeai vers la station quand une main se posa sur mon épaule. "Venez, vous méritez bien un verre!" C'était le père qui me souriait de son visage noirci par la fumée et le lubrifiant. Il lui manquait quelques dents, signe que ses machines avaient une certaine tendance... à se planter. De là à supposer une certaine incompétence ou pire encore un côté casse-cou il n’y avait qu’un pas…
J'écoutais tranquillement les éclats de voix des camelots quand un cri retentit "Poussez-vous!" Brailla la voix. Les gens sautèrent de part et d'autre de la route tandis qu'un nuage de fumée blanche fonçait sur nous. Le bruit était terrible, métallique, comme un train emballé, mais dans la rue. Juste à temps j'en fis autant et me retrouva assis dans un tas de détritus, bien heureux d'avoir évité le monstre de métal. Du regard je suivis alors la course du drôle d'engin aux roues démesurées. Il me sembla voir deux personnes littéralement attachées aux commandes, s'agitant et tentant sûrement d'arrêter l'engin avant l'accident... Si seulement la rue n'était pas en té! Dans un immense fracas la chaudière se plia contre la façade de briques, fit voler des fenêtres en éclats qui retombèrent comme une neige de cristal. Les tuyaux se fendirent, s'arrachèrent et lâchèrent une quantité incroyable de vapeur. Tout le quartier se retrouva pris dans un brouillard indescriptible, tandis que la foule reprit ses affaires comme si de rien n'était. D'un pas rapide je me rendis sur place afin de voir s'il n'y avait pas de blessé.
Dès que je fus à la hauteur de la machine je pus constater le désastre: la cabine, du moins ce qui semblait l'être n'était plus qu'un amas de bois et de tôle pliée. Tandis que je regardai les débris en quête d'un survivant une main gantée sortit d'un coup à quelques centimètres de mon visage. Paniqué je fis un bond, puis me ravisa et saisis la main. De tout mon poids je fis basculer le corps qui vint à moi. C'était une personne vêtue d'une grande combinaison en coton fort qui fut un jour immaculée, renforcée de pièces de cuir aux articulations et au plastron. La tête engoncée dans un casque cabossé, le visage était recouvert d'un large chiffon gris cendre et de lunettes aux verres épais. La personne marmonna quelque chose puis se mit à jeter les bouts de son engin en vociférant quelque chose. "Pa... , humm humm... pa ..!!" De plus en plus excité, le mécanicien (ou ce que je supposais l'être) fit voler des morceaux dans ma direction, ce qui me décida à l'aider. Une plaque, puis encore une autre, des briques... quel foutoir! Et là, sous cet amoncellement, un corps. Le mécano se pencha, saisit le corps inanimé par les épaules et le secoua avec vigueur. Terrifié je lui intimai l'ordre de cesser cela sans soin, ce à quoi j'eus comme réponse une poussée du plat de la main. Le mécano jeta ses gros gants de cuir et je remarquai immédiatement que ce n'était pas des mains d'homme, mais plutôt de femme faisant de la mécanique. Les jointures sales, les ongles coupés courts, mais les doigts trop fluets... Elle ôta son casque, jeta ses lunettes et le chiffon lui protégeant le visage et hurla dans les oreilles de l'homme encore sonné "Papa! Réveille-toi!"
S'en suivit sur le champ une dispute mémorable...
- Idiote! Quelle idée de pousser la machine à ce régime?! On a failli se tuer!
- Et toi quand je t'ai dit de surveiller les soupapes ce n'était pas pour faire joli! Tu as fait sauter les sécurités!
- non c'est toi la dingue de nous deux! Mais comment diable ai je pu avoir une fille comme toi? Pourquoi tu ne t'es pas mariée?
- Pour t'aider à l'atelier!
- Ou me tuer avant l'âge!
- Dingo!
- hystérique!
- Guignol!
- Incompétent!
- Mécanicienne de seconde zone...
Je m'en fus alors sur ces mots de manière à ne pas me trouver mêlé à cette belle dispute familiale. Juste au coin il y avait le trolley dont m'avait parlé l'autre chauffeur. Décidé à ne pas rater mon entrée à la faculté, je me dirigeai vers la station quand une main se posa sur mon épaule. "Venez, vous méritez bien un verre!" C'était le père qui me souriait de son visage noirci par la fumée et le lubrifiant. Il lui manquait quelques dents, signe que ses machines avaient une certaine tendance... à se planter. De là à supposer une certaine incompétence ou pire encore un côté casse-cou il n’y avait qu’un pas…
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