Dès le lendemain je repris les cours avec en toute franchise une certaine appréhension à recroiser Térésa. Nous nous étions séparés sur une note plutôt désagréable et je pensais qu’elle m’en voulait pour mes atermoiements. Je ne fus donc pas très concentré pendant la manipulation des composants du blindé ce jour là, et je dois admettre que bien mal m’en prit. Jusque là tout s’était bien passé, nous avions tous fait preuve de prudence et de discernement lors du démontage de l’engin. Ceci dit, la férule de notre professeur nous suffisait à nous poser trois fois les bonnes questions avant d’agir. J’étais donc insuffisamment attentif lorsque nous remîmes en route la chaudière hors de la coque de la machine. Tout était remonté là, sur un support fait de poutres boulonnées entre elles, et nous devions observer chaque mouvement et comportement sur les manomètres pour être bien renseignés sur la santé du moteur. Le foyer rougeoyait de plus en plus, la pression augmentait graduellement et approchait le seul critiqué distingué par une zone rouge des plus visibles. Je me préoccupais d’une soupape de sûreté placée à la verticale de la cuve principale quand un collègue me fit remarquer que de son côté la pression était anormalement élevée. Du mien, le manomètre semblait indiquer une pression on ne peut plus normale, voire un peu faible. Je lui demandai de vérifier son étalonnage tandis que je revis une fois de plus l’étanchéité en versant de l’eau savonneuse sur les raccords. Pas de fuite, tout va bien.
C’est à ce moment précis que le professeur s’approcha, écouta le sifflement discret de certaines soudures, puis en les mouillant à l’aide d’une serpillière humide vérifia l’évaporation. Il se frottait le menton, dubitatif pour l’on ne savait quelle raison alors que nous étions satisfaits du résultat. Les axes d’entraînement des roues motrices tournaient très bien, vite, efficacement et sans grognement parasite. Du reste la fumée de combustion sortait d’une belle couleur grise, signe d’un brasier bien alimenté. Tout à coup je vis mon voisin paniquer en hurlant « Pression dans le rouge ! Coupez tout ! ». Médusé, je me tournai vers un des compteurs à aiguilles que j’avais observé l’instant d’avant : d’une pression légèrement faible l’aiguille sauta directement en bout de course et s’arrêtant sur la butée. Certains rivets de la cuve principale se mirent à suinter de la fumée, et deux ou trois furent expulsés par la pression. Pourtant, le régulateur pas plus que la moindre soupape de sécurité ne réagit au désastre. Le colonel Mardrek ordonna l’évacuation immédiate, chose rare de sa part. Moi, si vexé d’avoir échoué dans le montage je me suis alors saisi d’une massette et monta sur un tabouret. Je visai la virole principale afin d’évacuer le trop plein directement vers le ciel. Mes collègues avaient tout de même coupé l’arrivée principale d’eau, mais le contenu du circuit suffisait malheureusement à tout pulvériser. Je fis alors l’impensable, le geste fou qui aurait dû me coûter la vie : je frappai le régulateur droit à sa base en espérant le faire tourner à pleine vitesse pour qu’il ouvre sa soupape. Cela agit mais pas comme je l’escomptai : ce fut une véritable explosion, un geyser bouillant qui sauta sous mes yeux. J’eus le réflexe de me protéger du bras gauche et fus éjecté au sol. Toute la pièce fut emplie d’un brouillard dense et chaud, tandis que la machine s’essoufflait en vomissant ses dernières volutes de vapeur. En tentant de me relever je sentis alors la morsure de ma peau ébouillantée. Ma tenue de travail avait viré au rouge pivoine, juste entre le coude et le poignet. La peau devait être sûrement très atteinte pour voir cela arriver. Je hurlai de colère et de douleur. Dans tous les cas j’allais sûrement être recalé pour l’examen, impossible de guérir d’une telle brûlure aussi rapidement !
Je fus si choqué qu’on m’emmena à l’infirmerie sans que je m’en rende compte. J’étais pétrifié, marmonnant (d’après mes amis) des choses sans vraiment de suite, et surtout pleurant presque mon inévitable échec. Tant d’efforts pour rien ! C’était si stupide ! Ce n’est qu’une fois allongé dans la salle d’urgence pour attendre le médecin que je repris un peu mes esprits. La pièce était étroite et longue, elle comportait un lit que l’on pouvait isoler en l’entourant d’un rideau blanc, un bureau, une chaise et une armoire vitrée. Tout était blanc et la seule fenêtre derrière la chaise du bureau était occultée par des rideaux tout aussi blancs. J’entendis des pas, des discussions, puis un homme relativement âgé entra dans la pièce. Il était vêtu d’une blouse blanche avec un caducée surmontant un nuage fixé sur le cœur. Il me saisit lentement le bras, pratiqua une entaille avec des ciseaux puis découpa patiemment ma manche. Je serrai les dents en regardant ailleurs de peur de voir le désastre. Je déchiffrai alros son nom sur le côté droit : capitaine T.Honka. Avec d’infinies précautions il décolla la cotonnade et désinfecta patiemment la grande plaie qui formait comme une flaque rouge sang sur ma peau. Il me chuchota de serrer les dents plus fort, voire de mordre l’oreiller. J’obtempérai sans discuter et bien m’en pris : il appliqua un produit qui accentua la douleur au point que j’en perdis connaissance.
Lorsque je revins à moi le docteur était assis à côté de moi, ainsi que le colonel et Térésa. Tout trois discutaient et je feins de ne pas être éveillé.
Il a eu le cran de faire sauter la soupape, mais ça va lui coûter sa place, je le crains, commença Mardrek.
- Il peut travailler le bras bandé et réduire sa charge pratique s’il est capable de compenser par le théorique ! Rétorqua Térésa. Il a agi pour le bien de tous !
- Mais il a désobéi à un ordre direct Térésa, répondit-il sur un ton presque paternel. Honka, tu peux le remettre sur pieds en combien de temps ?
- Dès maintenant à partir du moment où il prend soin de sa blessure. Par chance c’est tout de même plus spectaculaire que grave. Si cela avait été au visage, il serait aveugle… ou mort.
Je fis alors l’effort de me redresser.
- Pas question d’arrêter, je suis arrivé là ce n’est pas pour abandonner ! Grognais-je entre les dents.
- Tu seras sanctionné pour ta désobéissance jeune homme, me lança le colonel sans montrer la moindre émotion.
- C’est injuste ! Protesta à nouveau Térésa.
- J’ai désobéi, répondis-je enfin, j’accepte. Je serai sanctionné mais je veux finir le cycle.
- Plus de permission ni de courrier jusqu’à la fin. Obligation d’être dans la chambrée après le repas. Corvée systématique d’entretien des sanitaires.
- Ca non colonel, impossible, il se souillerait la plaie, corrigea le docteur. Alors… je propose plutôt qu’il devra être le premier tous les matins à l’appel, sous peine d’être expulsé.
- Accordé ! Aspirant, faites le point avec le docteur et retournez immédiatement à votre quartier. Quand à vous troisième année Linotchi, nous avons à parler.
C’est à ce moment précis que le professeur s’approcha, écouta le sifflement discret de certaines soudures, puis en les mouillant à l’aide d’une serpillière humide vérifia l’évaporation. Il se frottait le menton, dubitatif pour l’on ne savait quelle raison alors que nous étions satisfaits du résultat. Les axes d’entraînement des roues motrices tournaient très bien, vite, efficacement et sans grognement parasite. Du reste la fumée de combustion sortait d’une belle couleur grise, signe d’un brasier bien alimenté. Tout à coup je vis mon voisin paniquer en hurlant « Pression dans le rouge ! Coupez tout ! ». Médusé, je me tournai vers un des compteurs à aiguilles que j’avais observé l’instant d’avant : d’une pression légèrement faible l’aiguille sauta directement en bout de course et s’arrêtant sur la butée. Certains rivets de la cuve principale se mirent à suinter de la fumée, et deux ou trois furent expulsés par la pression. Pourtant, le régulateur pas plus que la moindre soupape de sécurité ne réagit au désastre. Le colonel Mardrek ordonna l’évacuation immédiate, chose rare de sa part. Moi, si vexé d’avoir échoué dans le montage je me suis alors saisi d’une massette et monta sur un tabouret. Je visai la virole principale afin d’évacuer le trop plein directement vers le ciel. Mes collègues avaient tout de même coupé l’arrivée principale d’eau, mais le contenu du circuit suffisait malheureusement à tout pulvériser. Je fis alors l’impensable, le geste fou qui aurait dû me coûter la vie : je frappai le régulateur droit à sa base en espérant le faire tourner à pleine vitesse pour qu’il ouvre sa soupape. Cela agit mais pas comme je l’escomptai : ce fut une véritable explosion, un geyser bouillant qui sauta sous mes yeux. J’eus le réflexe de me protéger du bras gauche et fus éjecté au sol. Toute la pièce fut emplie d’un brouillard dense et chaud, tandis que la machine s’essoufflait en vomissant ses dernières volutes de vapeur. En tentant de me relever je sentis alors la morsure de ma peau ébouillantée. Ma tenue de travail avait viré au rouge pivoine, juste entre le coude et le poignet. La peau devait être sûrement très atteinte pour voir cela arriver. Je hurlai de colère et de douleur. Dans tous les cas j’allais sûrement être recalé pour l’examen, impossible de guérir d’une telle brûlure aussi rapidement !
Je fus si choqué qu’on m’emmena à l’infirmerie sans que je m’en rende compte. J’étais pétrifié, marmonnant (d’après mes amis) des choses sans vraiment de suite, et surtout pleurant presque mon inévitable échec. Tant d’efforts pour rien ! C’était si stupide ! Ce n’est qu’une fois allongé dans la salle d’urgence pour attendre le médecin que je repris un peu mes esprits. La pièce était étroite et longue, elle comportait un lit que l’on pouvait isoler en l’entourant d’un rideau blanc, un bureau, une chaise et une armoire vitrée. Tout était blanc et la seule fenêtre derrière la chaise du bureau était occultée par des rideaux tout aussi blancs. J’entendis des pas, des discussions, puis un homme relativement âgé entra dans la pièce. Il était vêtu d’une blouse blanche avec un caducée surmontant un nuage fixé sur le cœur. Il me saisit lentement le bras, pratiqua une entaille avec des ciseaux puis découpa patiemment ma manche. Je serrai les dents en regardant ailleurs de peur de voir le désastre. Je déchiffrai alros son nom sur le côté droit : capitaine T.Honka. Avec d’infinies précautions il décolla la cotonnade et désinfecta patiemment la grande plaie qui formait comme une flaque rouge sang sur ma peau. Il me chuchota de serrer les dents plus fort, voire de mordre l’oreiller. J’obtempérai sans discuter et bien m’en pris : il appliqua un produit qui accentua la douleur au point que j’en perdis connaissance.
Lorsque je revins à moi le docteur était assis à côté de moi, ainsi que le colonel et Térésa. Tout trois discutaient et je feins de ne pas être éveillé.
Il a eu le cran de faire sauter la soupape, mais ça va lui coûter sa place, je le crains, commença Mardrek.
- Il peut travailler le bras bandé et réduire sa charge pratique s’il est capable de compenser par le théorique ! Rétorqua Térésa. Il a agi pour le bien de tous !
- Mais il a désobéi à un ordre direct Térésa, répondit-il sur un ton presque paternel. Honka, tu peux le remettre sur pieds en combien de temps ?
- Dès maintenant à partir du moment où il prend soin de sa blessure. Par chance c’est tout de même plus spectaculaire que grave. Si cela avait été au visage, il serait aveugle… ou mort.
Je fis alors l’effort de me redresser.
- Pas question d’arrêter, je suis arrivé là ce n’est pas pour abandonner ! Grognais-je entre les dents.
- Tu seras sanctionné pour ta désobéissance jeune homme, me lança le colonel sans montrer la moindre émotion.
- C’est injuste ! Protesta à nouveau Térésa.
- J’ai désobéi, répondis-je enfin, j’accepte. Je serai sanctionné mais je veux finir le cycle.
- Plus de permission ni de courrier jusqu’à la fin. Obligation d’être dans la chambrée après le repas. Corvée systématique d’entretien des sanitaires.
- Ca non colonel, impossible, il se souillerait la plaie, corrigea le docteur. Alors… je propose plutôt qu’il devra être le premier tous les matins à l’appel, sous peine d’être expulsé.
- Accordé ! Aspirant, faites le point avec le docteur et retournez immédiatement à votre quartier. Quand à vous troisième année Linotchi, nous avons à parler.
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