Le temps se mit à filer sans que je puisse m’en rendre compte. Chaque jour, chaque heure, chaque minute était consacrée à l’étude. Depuis les schémas où j’appris à me servir d’une planche à dessin jusqu’aux calculs complexes en tous genres, le répit ne fut pas notre lot quotidien. Je me refusais toute pause tant j’espérais pouvoir tenir le rythme. Pour tout dire, la majorité des aspirants passaient leurs jours de repos en ville et avaient la réputation peu honorable de s’enivrer et provoquer des bagarres. J’avais beau avoir fait la connaissance Wicca, je ne la revis pas pendant deux longs mois. La seule chose qui me parvint du monde extérieur fut un colis de mes parents contenant quelques victuailles ainsi qu’une lettre me parlant des voisins, de la grand-mère se maintenant très bien malgré son âge ainsi que de la mine qui semblait s’épuiser. La fatigue aidant, je m’assoupissais dès que je m’allongeais, et je n’étais pas seul. Certains pourtant semblaient avoir un véritable don, que bien entendu je ne possédais pas. Je ne compte plus le nombre de remontrances et de vexations que chacun eut à supporter pendant nos cours. Les mots blessent aussi bien que les balles sur le champ de bataille… Dire que j’avais cru ces mots vides de sens, j’en appris toute la rudesse pendant cette période.
Je me souviens aussi bien que si c’était hier la façon qu’Otto fut sanctionné après qu’il soit allé trop loin. Plus il nous brimait plus il semblait qu’un esprit de corps naissait entre nous. Toute la chambrée s’était organisée autour de la surveillance de ce type, et ce à tout moment du jour ou de la nuit. Bien sûr, de par son statut il trouva plus d’une crasse à faire, mais un jour nous trouvâmes un moyen aussi simple que cruel de le piéger. C’est une aspirante qui lança l’idée : « Pourquoi ne pas le faire prendre en flagrant délit quand il détruit vos travaux ? ». Cela semblait si simple que nous en rîmes bruyamment, mais après mûre réflexion ce fut notre stratégie. Tout d’abord il fallut trouver un professeur complice acceptant de nous aider. En soi ce ne fut pas si difficile que cela car Otto semblait avoir sa petite réputation, toutefois un officier se devait d’être discret et ne pas blâmer gratuitement un élève confirmé. Au surplus, ce n’était pas un mauvais étudiant… Mais la chance nous sourit quand la plus inattendue des aides nous parvint. Il nous fut signalé qu’une inspection générale devait avoir lieu le lendemain, et que les chambres se devaient d’être parfaites. Tout était là : réussir à provoquer Otto pour qu’il soit dans la chambre au mauvais moment… Ce qui fut finalement fait en le provoquant sévèrement concernant son autorité. Il fut si vexé qu’il s’empressa de monter et de « punir » à sa façon le courageux aspirant. Dommage qu’il fut pris sur le fait par un général de brigade. Il fut viré sur le champ et ne réapparut jamais à la faculté…
Tout cela semble si loin à présent, si futile, si idiot même ! Je me demande encore ce qui pouvait l’avoir rendu si aigri contre nous, mais une chose est sûre, c’est que jamais il nous pardonna ce qu’il considéra comme une trahison. Bref, il fallait avancer, et son poste fut pris par une autre élève de troisième année. Souriante, avenante et dévouée, Térésa montra un visage radicalement opposé à son prédécesseur. Bienveillante elle nous montra énormément d’astuces tant au niveau des leçons que de la façon de se comporter, comment bien saluer un gradé, comment faire le pli du pantalon que nul parmi nous n’avait réussi à mettre en place jusque-là. Elle n’avait rien d’une mère poule, au contraire elle savait aussi sanctionner fermement ceux qui avaient eu l’idée d’en profiter. Pour ma part je n’eus aucun regard sur elle, trop occupé que j’étais à lire ces pavés scolaires. Peu à peu, cette absence de « séduction » lui apparut probablement agréable car je fus son plus proche contact dans la section. A mon sens elle devait en avoir assez d’être sans cesse harcelée alors que le code intérieur interdisait toute relation entre élèves. Cela me convenait de toute façon fort bien, je n’avais aucune envie d’être expulsé pour une amourette !
La saison chaude était finie et la pluie commença à prendre le pas sur le soleil. Les jours raccourcissaient mais pas la densité des informations à assimiler. Térésa se pencha plus d’une fois sur mes devoirs et m’expliqua les erreurs grossières que j’y glissais. Inattentif ? Bête ? Aucune idée mais certaines choses n’entrèrent qu’à force de répétitions et de bachotage. J’eus plus d’une fois la sensation d’avoir la tête pleine de choses incompréhensibles mais que je me devais de savoir remettre sur le papier ou mettre en pratique. Elle m’apprit notamment les grilles de calculs pour les courbures de tuyauterie, chose absolument imbuvable pour un non initié comme moi. Enfin bon, il le fallait et sa compagnie me ravissait. D’aspirant à élève chef de rang nous passâmes à une relation amicale. Elle n’était pas plus âgée que moi, c’était moi qui avais traîné pour m’inscrire à la faculté. Elle sut me tirer des larmes de rire alors que je déprimais de fatigue, tout comme j’appris à la faire sourire en faisant le pitre. Ah, cette sensation d’apporter quelque chose à quelqu’un…
Ce matin là je m’étais décidé à rester allongé sur mon lit pour récupérer pendant les deux jours. Hors de question de travailler ou de faire quoi ce soit. De toute façon il pleuvait averse et je n’avais guère envie de revenir trempé au point d’en tomber malade. Elle entra dans la chambre, répondit au salut des autres aspirants présents et vint armée d’un parapluie m’inviter à faire un tour en ville. Je fus pris au dépourvu. En ville ? J’étais bien entendu fauché, aucune chance de lui offrir ne serait-ce qu’un petit repas. Il faut dire que j’avais eu la mauvaise idée de me mettre à fumer pour combattre le stresse, chose dont elle ne cessa jamais de me blâmer. Enfin bon, pour le coup il me restait de quoi lui payer une boisson chaude… qui sait, cela suffirait non ? Au pire je pouvais me priver du superflu (comme les cigarettes) pour la prochaine fois. C’est étrange, je me sentis enchanté de l’accompagner sous le parapluie noir.
En passant le portail le planton de service me fit un sourire entendu que je ne compris pas sur le moment. Quoi ? Oui elle est jolie avec ses yeux noisette, sa haute taille, ses hanches… Seigneur elle me plaisait ! Que dire ? Que faire ? J’admis rapidement que la savoir pendue à mon bras me rendait heureux, que passer du temps même penché sur un plan valait bien toutes les sorties entre copains… et là de voir sa nuque dévoilée sous son carré brun me fit tressaillir. Bon sang qu’il est dur d’admettre qu’on aime bien quelqu’un…
Nous marchâmes longuement sans nous rendre compte du temps ou des endroits. Parlant de tout et de rien, nous partageâmes nos rêves d’avenir, nos désirs d’être les meilleurs dans le domaine de la vapeur, d’apporter quelque chose de neuf à ce monde. J’appris qu’elle était orpheline et que son oncle l’avait prise sous son aile très jeune. Mécanicien aux chemins de fer nationaux et pas marié, il lui avait donné une éducation un peu garçonne mais très juste. C’est lui qui eut l’idée de l’inscrire à la STEAM. A ses yeux c’était la seule possibilité financière qu’il leur restait. De plus, Térésa avait cette joie de vivre et cette passion pour la technologie qu’il fut rapidement convaincu du bien fondé de ses choix. Elle me raconta ses débuts, son trimestre à faire comme moi, à vivre comme une autiste loin de tout contact. C’est par courrier qu’elle apprit le décès de l’oncle aimé. Un accident dans une terre éloignée, elle ne put en savoir plus étant donné qu’elle n’était pas sa fille légitime. Plutôt que de s’assombrir elle m’offrit de la suivre dans une galerie réputée pour abriter les meilleurs commerces de la ville. Ce fut un émerveillement : une grande véranda peinte de couleurs vives, une travée autour de laquelle s’organisaient les boutiques, des éclairages au gaz superbement décorés, et puis ces parfums se mêlant étrangement : épices, fleurs, pâtisseries, une pointe de thé très fort. Nous avançâmes dans la foule, piétinant lentement le marbre blanc du sol. Tout était si propre, si ordonné dans les vitrines ! Je n’avais plus vraiment vu de vêtements civils depuis deux mois et tout était comme un renouveau. Les robes étaient bouffantes aux jambes et cintrées à la taille, les costumes arboraient des rayures et quadrillages monochromes, et nous deux, habillés en bleu marine semblions nous être perdus dans un monde inconnu.
Je sentis une main se poser sur mon épaule. Je me retournai et vis alors Wicca….
Je me souviens aussi bien que si c’était hier la façon qu’Otto fut sanctionné après qu’il soit allé trop loin. Plus il nous brimait plus il semblait qu’un esprit de corps naissait entre nous. Toute la chambrée s’était organisée autour de la surveillance de ce type, et ce à tout moment du jour ou de la nuit. Bien sûr, de par son statut il trouva plus d’une crasse à faire, mais un jour nous trouvâmes un moyen aussi simple que cruel de le piéger. C’est une aspirante qui lança l’idée : « Pourquoi ne pas le faire prendre en flagrant délit quand il détruit vos travaux ? ». Cela semblait si simple que nous en rîmes bruyamment, mais après mûre réflexion ce fut notre stratégie. Tout d’abord il fallut trouver un professeur complice acceptant de nous aider. En soi ce ne fut pas si difficile que cela car Otto semblait avoir sa petite réputation, toutefois un officier se devait d’être discret et ne pas blâmer gratuitement un élève confirmé. Au surplus, ce n’était pas un mauvais étudiant… Mais la chance nous sourit quand la plus inattendue des aides nous parvint. Il nous fut signalé qu’une inspection générale devait avoir lieu le lendemain, et que les chambres se devaient d’être parfaites. Tout était là : réussir à provoquer Otto pour qu’il soit dans la chambre au mauvais moment… Ce qui fut finalement fait en le provoquant sévèrement concernant son autorité. Il fut si vexé qu’il s’empressa de monter et de « punir » à sa façon le courageux aspirant. Dommage qu’il fut pris sur le fait par un général de brigade. Il fut viré sur le champ et ne réapparut jamais à la faculté…
Tout cela semble si loin à présent, si futile, si idiot même ! Je me demande encore ce qui pouvait l’avoir rendu si aigri contre nous, mais une chose est sûre, c’est que jamais il nous pardonna ce qu’il considéra comme une trahison. Bref, il fallait avancer, et son poste fut pris par une autre élève de troisième année. Souriante, avenante et dévouée, Térésa montra un visage radicalement opposé à son prédécesseur. Bienveillante elle nous montra énormément d’astuces tant au niveau des leçons que de la façon de se comporter, comment bien saluer un gradé, comment faire le pli du pantalon que nul parmi nous n’avait réussi à mettre en place jusque-là. Elle n’avait rien d’une mère poule, au contraire elle savait aussi sanctionner fermement ceux qui avaient eu l’idée d’en profiter. Pour ma part je n’eus aucun regard sur elle, trop occupé que j’étais à lire ces pavés scolaires. Peu à peu, cette absence de « séduction » lui apparut probablement agréable car je fus son plus proche contact dans la section. A mon sens elle devait en avoir assez d’être sans cesse harcelée alors que le code intérieur interdisait toute relation entre élèves. Cela me convenait de toute façon fort bien, je n’avais aucune envie d’être expulsé pour une amourette !
La saison chaude était finie et la pluie commença à prendre le pas sur le soleil. Les jours raccourcissaient mais pas la densité des informations à assimiler. Térésa se pencha plus d’une fois sur mes devoirs et m’expliqua les erreurs grossières que j’y glissais. Inattentif ? Bête ? Aucune idée mais certaines choses n’entrèrent qu’à force de répétitions et de bachotage. J’eus plus d’une fois la sensation d’avoir la tête pleine de choses incompréhensibles mais que je me devais de savoir remettre sur le papier ou mettre en pratique. Elle m’apprit notamment les grilles de calculs pour les courbures de tuyauterie, chose absolument imbuvable pour un non initié comme moi. Enfin bon, il le fallait et sa compagnie me ravissait. D’aspirant à élève chef de rang nous passâmes à une relation amicale. Elle n’était pas plus âgée que moi, c’était moi qui avais traîné pour m’inscrire à la faculté. Elle sut me tirer des larmes de rire alors que je déprimais de fatigue, tout comme j’appris à la faire sourire en faisant le pitre. Ah, cette sensation d’apporter quelque chose à quelqu’un…
Ce matin là je m’étais décidé à rester allongé sur mon lit pour récupérer pendant les deux jours. Hors de question de travailler ou de faire quoi ce soit. De toute façon il pleuvait averse et je n’avais guère envie de revenir trempé au point d’en tomber malade. Elle entra dans la chambre, répondit au salut des autres aspirants présents et vint armée d’un parapluie m’inviter à faire un tour en ville. Je fus pris au dépourvu. En ville ? J’étais bien entendu fauché, aucune chance de lui offrir ne serait-ce qu’un petit repas. Il faut dire que j’avais eu la mauvaise idée de me mettre à fumer pour combattre le stresse, chose dont elle ne cessa jamais de me blâmer. Enfin bon, pour le coup il me restait de quoi lui payer une boisson chaude… qui sait, cela suffirait non ? Au pire je pouvais me priver du superflu (comme les cigarettes) pour la prochaine fois. C’est étrange, je me sentis enchanté de l’accompagner sous le parapluie noir.
En passant le portail le planton de service me fit un sourire entendu que je ne compris pas sur le moment. Quoi ? Oui elle est jolie avec ses yeux noisette, sa haute taille, ses hanches… Seigneur elle me plaisait ! Que dire ? Que faire ? J’admis rapidement que la savoir pendue à mon bras me rendait heureux, que passer du temps même penché sur un plan valait bien toutes les sorties entre copains… et là de voir sa nuque dévoilée sous son carré brun me fit tressaillir. Bon sang qu’il est dur d’admettre qu’on aime bien quelqu’un…
Nous marchâmes longuement sans nous rendre compte du temps ou des endroits. Parlant de tout et de rien, nous partageâmes nos rêves d’avenir, nos désirs d’être les meilleurs dans le domaine de la vapeur, d’apporter quelque chose de neuf à ce monde. J’appris qu’elle était orpheline et que son oncle l’avait prise sous son aile très jeune. Mécanicien aux chemins de fer nationaux et pas marié, il lui avait donné une éducation un peu garçonne mais très juste. C’est lui qui eut l’idée de l’inscrire à la STEAM. A ses yeux c’était la seule possibilité financière qu’il leur restait. De plus, Térésa avait cette joie de vivre et cette passion pour la technologie qu’il fut rapidement convaincu du bien fondé de ses choix. Elle me raconta ses débuts, son trimestre à faire comme moi, à vivre comme une autiste loin de tout contact. C’est par courrier qu’elle apprit le décès de l’oncle aimé. Un accident dans une terre éloignée, elle ne put en savoir plus étant donné qu’elle n’était pas sa fille légitime. Plutôt que de s’assombrir elle m’offrit de la suivre dans une galerie réputée pour abriter les meilleurs commerces de la ville. Ce fut un émerveillement : une grande véranda peinte de couleurs vives, une travée autour de laquelle s’organisaient les boutiques, des éclairages au gaz superbement décorés, et puis ces parfums se mêlant étrangement : épices, fleurs, pâtisseries, une pointe de thé très fort. Nous avançâmes dans la foule, piétinant lentement le marbre blanc du sol. Tout était si propre, si ordonné dans les vitrines ! Je n’avais plus vraiment vu de vêtements civils depuis deux mois et tout était comme un renouveau. Les robes étaient bouffantes aux jambes et cintrées à la taille, les costumes arboraient des rayures et quadrillages monochromes, et nous deux, habillés en bleu marine semblions nous être perdus dans un monde inconnu.
Je sentis une main se poser sur mon épaule. Je me retournai et vis alors Wicca….
1 commentaire:
Bravo pour ce passage un peu d'humanité :)
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