Quoi lui répondre ? En toute honnêteté je me doutais bien qu’il serait agréable de discuter avec des gens passionnés par la même chose que moi, par contre rater l’occasion d’être à l’heure à la faculté me semblait inacceptable. Je lui souri, lui expliqua qu’il m’était délicat de ne pas être dans les temps pour l’inscription et que de toute façon j’avais besoin du recteur pour m’orienter et me trouver un logement. Je le vis alors changer de couleur, comme s’il avait été frappé d’une gigantesque colère. Il me fit comprendre qu’il lui était intolérable de supporter un vaporiste prêt à se vendre pour entrer à la STEAM et qu’au surplus j’ignorais même les conséquences d’un tel engagement. Sa fille se présenta alors tandis que son père reprit ses fouilles dans le tas de ferrailles et me prit à part pour m’expliquer un peu le problème.
- La STEAM est la meilleure des facultés, mais c’est aussi un engagement difficile à prendre.
- Pourquoi donc ? répondis-je surpris. C’est bien une école et rien de plus non ?
- C’est aussi s’engager à travailler à des projets planifiés par l’état pendant les cinq ans, en sachant que ce n’est pas des machines agricoles qui sont conçues là-bas. Tu prends le risque d’être le créateur d’une arme qui sera utilisée sur le champ de bataille. Au fait comment tu t’appelles ? Moi c’est Wicca.
- Barto. Enchanté. Donc tu dis que je serais alors un militaire ?
- Pas tout à fait, tu seras un élève vaporiste travaillant pour l’armée. Tu ne seras normalement pas envoyé sur le terrain, mais tu pourras être mobilisé en priorité si le besoin s’en fait sentir.
- Je ne savais pas tout ça ! me récriais-je. Et c’est impossible d’éviter cet engagement ?
- Pas plus qu’il est possible de couper au service militaire dans cette région. Mais toi tu viens de l’est je crois.
- Comment tu sais ça ?
- A ton accent et aux mots que tu utilises. Tu n’es pas d’ici et ça se voit ! Regarde donc ta dégaine !
Il est vrai que j’étais habillé de manière très « folklorique » pour les citadins : galurin large sur la tête, veste marron en laine, pantalon noir avec les chaussettes blanches par-dessus… Rien qui soit habituel dans les rues et avenues de la capitale. Qui plus est je devais avoir l’air d’être complètement perdu au milieu de ces quartiers gigantesques.
- Alors tu fais quoi ? Tu viens boire et manger un morceau à la maison ?
- Et l’inscription ?
- Si tu as ton dossier tu as normalement tout le mois pour te présenter. Une fois inscrit tu y es noté jusqu’au dernier jour. Ensuite, ils reprennent les dossiers en attente et complètent la liste avec les meilleurs dans l’ordre.
- Comment sais-tu tout ça ?
- Tout le monde sait ça ici… et puis je me suis inscrite il y a deux ans et j’ai été acceptée. Papa lui a tout fait pour que je n’entre pas.
- Pourquoi ?
- J’en ai pas la moindre idée mais rien qu’en parler le met dans un tel état que je ne veux même plus aborder la question. Allez viens, il y a de la soupe. C’est chiche mais bon, c’est moi qui cuisine.
- Tant que tu ne cuisines pas comme tu conduis tes … engins.
- C’est quoi cette insinuation ?
- Rien rien ! Promis ! D’accord j’accepte !
Aussitôt dit, aussitôt fait, me voilà bras dessus, bras dessous avec cette inconnue à remonter la ruelle en souriant aux passants. Derrière nous son père hurla tant qu’il put à sa fille de revenir ramasser « son merdier », chose à laquelle elle répondit sans se retourner d’un signe de main aussi désinvolte que peu respectueux.
Je n’avais pas remarqué les grandes portes cochères qui fermaient les entrés des bâtiments. La plupart portaient le symbole de la vapeur, cet écusson en forme d’écrou surmonté d’un petit nuage. Il y avait donc toute un commerce de l’entretien et de la réparation des machines, et bon nombre d’entres eux étaient ouverts à toute heure du jour et de la nuit. Dans l’entrebâillement de certaines je pus voir les entrelacs de durits, de câbles et de rouages qui semblaient défier la compréhension. Certains rivetaient à la lueur du brasero, d’autres soudaient avec des torches fonctionnant au gaz. J’étais comme absorbé par toute cette agitation, cette ferveur mécanique qui me semblait tenir du rêve. Wicca me tira le bras et me tira de mes songes éveillés. Elle se mit à m’expliquer que le métier était riche en opportunités mais que peu gagnaient de quoi vivre décemment. En effet, la concurrence des grands ateliers ainsi que la modernisation constante des systèmes à vapeur tuaient peu à peu les petits constructeurs. Bon nombre d’entres eux fermaient boutique sous le poids conjugué du manque de clientèle et du prix des pièces devenus exorbitant avec la demande sans cesse croissante.
Nous tournâmes sur la gauche et entrèrent par les restes de la porte qu’ils avaient sûrement défoncés avec leur « véhicule ». Ici, tout n’était que désordre : ici des soupapes démesurées, là un tas d’engrenages et de roulements usés, sur l’établi des clés couvertes de graisse, et dans la pénombre au fond une lampe à gaz brûlant timidement contre le mur nu en briques. L’endroit était fait d’une sorte de pièce unique découpée dans l’espace par des établis et postes de travail avec pour éclairage principal les fenêtres intégrées à la toiture. La charpente métallique n’était même pas dissimulée, et à celle-ci pendaient palans et cordes en pagaille. La droite de l’atelier était surélevée avec une cloison vitrée pour séparer l’espace à vivre du reste des lieux. Il était évidemment plus pratique de dormir sur place que d’aller dormir ailleurs, surtout vu le prix d’un loyer.
Wicca m’invita à passer dans la pièce logement. Meublée de trois lits de camp, d’un grand placard, d’une table et quatre chaises, ainsi que d’une cuisinière poêle au bois, les murs blancs donnaient une impression de caserne et non d’endroit agréable pour le repos. Elle s’assit sur un des lits, m’invita à en faire de même en vis-à-vis puis me dévisagea. Intimidé je mis un peu de temps avant de tenter la reprise de la conversation.
- Donc…. Tu travailles avec ton père.
- Depuis toujours. C’est passionnant, mais difficile d’en vivre. Et puis je voudrais voyager et pas bricoler des machines infernales.
- C’était quoi le « truc » que vous avez écrasé ?
- Un prototype de voiture qui permettrait d’augmenter la puissance tout en réduisant la consommation d’eau.
- C’est impossible.
- Rien n’est impossible ! Mais il faut réussir à tout régler : la vitesse, le poids, l’énergie perdue…
Et là elle partit dans une explication que même moi, fanatique de la chose, ne pus suivre. Elle me dévisagea à nouveau et me lança une ces phrases assassines qui savent vous mettre plus bas que terre sans le vouloir.
- Tu ne connais même pas les bases?
- La STEAM est la meilleure des facultés, mais c’est aussi un engagement difficile à prendre.
- Pourquoi donc ? répondis-je surpris. C’est bien une école et rien de plus non ?
- C’est aussi s’engager à travailler à des projets planifiés par l’état pendant les cinq ans, en sachant que ce n’est pas des machines agricoles qui sont conçues là-bas. Tu prends le risque d’être le créateur d’une arme qui sera utilisée sur le champ de bataille. Au fait comment tu t’appelles ? Moi c’est Wicca.
- Barto. Enchanté. Donc tu dis que je serais alors un militaire ?
- Pas tout à fait, tu seras un élève vaporiste travaillant pour l’armée. Tu ne seras normalement pas envoyé sur le terrain, mais tu pourras être mobilisé en priorité si le besoin s’en fait sentir.
- Je ne savais pas tout ça ! me récriais-je. Et c’est impossible d’éviter cet engagement ?
- Pas plus qu’il est possible de couper au service militaire dans cette région. Mais toi tu viens de l’est je crois.
- Comment tu sais ça ?
- A ton accent et aux mots que tu utilises. Tu n’es pas d’ici et ça se voit ! Regarde donc ta dégaine !
Il est vrai que j’étais habillé de manière très « folklorique » pour les citadins : galurin large sur la tête, veste marron en laine, pantalon noir avec les chaussettes blanches par-dessus… Rien qui soit habituel dans les rues et avenues de la capitale. Qui plus est je devais avoir l’air d’être complètement perdu au milieu de ces quartiers gigantesques.
- Alors tu fais quoi ? Tu viens boire et manger un morceau à la maison ?
- Et l’inscription ?
- Si tu as ton dossier tu as normalement tout le mois pour te présenter. Une fois inscrit tu y es noté jusqu’au dernier jour. Ensuite, ils reprennent les dossiers en attente et complètent la liste avec les meilleurs dans l’ordre.
- Comment sais-tu tout ça ?
- Tout le monde sait ça ici… et puis je me suis inscrite il y a deux ans et j’ai été acceptée. Papa lui a tout fait pour que je n’entre pas.
- Pourquoi ?
- J’en ai pas la moindre idée mais rien qu’en parler le met dans un tel état que je ne veux même plus aborder la question. Allez viens, il y a de la soupe. C’est chiche mais bon, c’est moi qui cuisine.
- Tant que tu ne cuisines pas comme tu conduis tes … engins.
- C’est quoi cette insinuation ?
- Rien rien ! Promis ! D’accord j’accepte !
Aussitôt dit, aussitôt fait, me voilà bras dessus, bras dessous avec cette inconnue à remonter la ruelle en souriant aux passants. Derrière nous son père hurla tant qu’il put à sa fille de revenir ramasser « son merdier », chose à laquelle elle répondit sans se retourner d’un signe de main aussi désinvolte que peu respectueux.
Je n’avais pas remarqué les grandes portes cochères qui fermaient les entrés des bâtiments. La plupart portaient le symbole de la vapeur, cet écusson en forme d’écrou surmonté d’un petit nuage. Il y avait donc toute un commerce de l’entretien et de la réparation des machines, et bon nombre d’entres eux étaient ouverts à toute heure du jour et de la nuit. Dans l’entrebâillement de certaines je pus voir les entrelacs de durits, de câbles et de rouages qui semblaient défier la compréhension. Certains rivetaient à la lueur du brasero, d’autres soudaient avec des torches fonctionnant au gaz. J’étais comme absorbé par toute cette agitation, cette ferveur mécanique qui me semblait tenir du rêve. Wicca me tira le bras et me tira de mes songes éveillés. Elle se mit à m’expliquer que le métier était riche en opportunités mais que peu gagnaient de quoi vivre décemment. En effet, la concurrence des grands ateliers ainsi que la modernisation constante des systèmes à vapeur tuaient peu à peu les petits constructeurs. Bon nombre d’entres eux fermaient boutique sous le poids conjugué du manque de clientèle et du prix des pièces devenus exorbitant avec la demande sans cesse croissante.
Nous tournâmes sur la gauche et entrèrent par les restes de la porte qu’ils avaient sûrement défoncés avec leur « véhicule ». Ici, tout n’était que désordre : ici des soupapes démesurées, là un tas d’engrenages et de roulements usés, sur l’établi des clés couvertes de graisse, et dans la pénombre au fond une lampe à gaz brûlant timidement contre le mur nu en briques. L’endroit était fait d’une sorte de pièce unique découpée dans l’espace par des établis et postes de travail avec pour éclairage principal les fenêtres intégrées à la toiture. La charpente métallique n’était même pas dissimulée, et à celle-ci pendaient palans et cordes en pagaille. La droite de l’atelier était surélevée avec une cloison vitrée pour séparer l’espace à vivre du reste des lieux. Il était évidemment plus pratique de dormir sur place que d’aller dormir ailleurs, surtout vu le prix d’un loyer.
Wicca m’invita à passer dans la pièce logement. Meublée de trois lits de camp, d’un grand placard, d’une table et quatre chaises, ainsi que d’une cuisinière poêle au bois, les murs blancs donnaient une impression de caserne et non d’endroit agréable pour le repos. Elle s’assit sur un des lits, m’invita à en faire de même en vis-à-vis puis me dévisagea. Intimidé je mis un peu de temps avant de tenter la reprise de la conversation.
- Donc…. Tu travailles avec ton père.
- Depuis toujours. C’est passionnant, mais difficile d’en vivre. Et puis je voudrais voyager et pas bricoler des machines infernales.
- C’était quoi le « truc » que vous avez écrasé ?
- Un prototype de voiture qui permettrait d’augmenter la puissance tout en réduisant la consommation d’eau.
- C’est impossible.
- Rien n’est impossible ! Mais il faut réussir à tout régler : la vitesse, le poids, l’énergie perdue…
Et là elle partit dans une explication que même moi, fanatique de la chose, ne pus suivre. Elle me dévisagea à nouveau et me lança une ces phrases assassines qui savent vous mettre plus bas que terre sans le vouloir.
- Tu ne connais même pas les bases?
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