vendredi 30 mai 2008

Episode 24

Ce fut frugal, comme souvent : des céréales bouillies, une grosse miche de pain et un fruit frais. Térésa se mit à me lister les obligations et devoirs au sein de la STEAM en tant qu’étudiant admis, elle précisa notamment les risques à ne pas respecter les règles d’âge, de priorité de grade ou pire encore à manquer de respect à un supérieur. L’essentiel tenait en une phrase : toujours saluer, même un subordonné. Il était par exemple impossible de ne pas saluer un officier, même si celui-ci ne répondait pas à votre salut. Quiconque voyait un acte déshonorant pouvait sanctionner l’absence de salut d’un inférieur et vous mener tout droit à une cellule glacée. La STEAM avait sa propre prison et sa police intérieure. Térésa me déclara d’ailleurs que celle-ci était encore plus dure et impitoyable que celle de la capitale, et qu’il tenait du suicide que d’aller les affronter. Service, honneur et bravoure devaient devenir mes seuls guides. Pourtant, en y songeant à ce moment là, je me demandai ce qui m’amenait à croire que la faculté m’offrirait quoi que ce soit. J’étais désagréablement empêtré entre mes doutes concernant la légitimité de la répression à Ranetta, tout comme je doutais qu’il fut nécessaire d’enserrer la nation dans un étau de fer. Je ne m’en ouvris toutefois pas à Térésa de peur qu’elle s’inquiète ou pire encore qu’elle me prenne pour un traître. La grande paranoïa que la traîtrise. Tout menait à s’en méfier : les affiches listant les sanctions (dont la mort par pendaison), le rappel de l’obligation de discrétion ainsi que les devoirs de chaque soldat. Si les cours ne suffisaient pas, les murs et la propagande se chargeraient bien de mettre au courant toute personne vivant sur la caserne, puisqu’au fond ce n’était pas un campus.
- Tu es préoccupé Barto. Qu’est ce qui ne va pas ?
- Je suis inquiet de savoir si j’ai fait le bon choix. Je te l’ai dit, l’armée est intervenue chez moi.
- Ils en ont parlé dans les journaux. C’est déjà plus calme apparemment. Ce n’est rien, cela arrive parfois dans certaines régions mais ça se règle très bien.
- Avec un fusil ça se règle toujours bien ! Lançai-je avec cynisme. C’est ça qui me fait douter de ma place : devenir comme ça ? Un tireur pour mater des volontés ? On est quoi ? Une armée de tueurs ?
- Ne dis pas ça Barto, les vaporistes font ce qu’il faut pour que ce soit stable, pas pour imposer quoi que ce soit.
- Et quelle différence ?
- La différence c’est qu’on ne tire que contre les ennemis de l’état.
- Et si l’état était l’ennemi ?
- Plus bas ! Si on t’entendait ça pourrait te coûter cher !
- Je sais... Oublie ça veux-tu ? C’est juste que j’ai croisé un ami d’enfance qui est entré dans le PNE... et j’ai vu des rafles. C’est rien. On se voit demain ?
- Demain, impossible nous partons en manœuvre pour quelques jours. Je suis de service y compris mes deux jours de repos. On se voit à mon retour Barto. D’ici là, peux-tu me promettre de ne pas aller la voir ?
- Mais ?
- Promets-le moi. Tu parles d’elle avec tellement de passion que je me demande...
- ...Ne te demande rien, coupai-je alors.
- Toi aussi tu peux arrêter tout si tu le désires vraiment.
- Ce n’est pas mon intention.
Elle déposa un baiser à la dérobée en observant les alentours.
- C’est interdit mais peu importe. Ecoute, si tu veux...
- Non, répondis-je en déposant moi aussi un baiser rapidement. A très vite.
- A très vite. J’ai souvent pensé à toi.
- Moi aussi.
Nous partîmes chacun de notre côté pour ne rien laisser paraître, pourtant je sentis qu’elle avait peur de me perdre. Au fond de moi je ne savais pas vraiment quoi faire ni quoi dire. Wicca ou elle ? C’était comme demander de choisir entre le feu et l’eau, les deux étant si différents et pourtant aussi indispensables et complémentaires que peuvent l’être ces deux éléments dans une machine.
Les jours suivants on me laissa quartier libre avec pour seule obligation de ne pas troubler les études des autres. Je pus ainsi visiter tous les quartiers qui m’étaient auparavant interdits : les ateliers, les librairies, les salles d’étude, les amphithéâtres, l’armurerie et les gymnases. Chacune de ces bâtisses étaient démesurées, conçues pour permettre à des milliers de soldats de vivre et d’étudier en toute quiétude et surtout avec un maximum d’efficacité. L’atelier à lui seul fut un choc sans précédent tant par sa taille que par sa modernité. Ce fut la première fois que je vis une lumière électrique alors que partout ailleurs le gaz était encore la règle. Ici, on générait notre propre électricité à l’aide des chaudières, et toutes les machines outils étaient branchées dessus. J’ignorais le principe même de cette technologie et je me sentis comme un paysan voyant un saint face à une ampoule. De la lumière captive d’une sphère de verre ! C’était un miracle, et je n’étais pas au bout de mes surprises. Haute de six étages, longue d’au moins cinq centaines de pas, la structure pouvait sans difficulté abriter un navire. De par sa conception même on put croire qu’elle était faite de cubes assemblés et pouvant être déplacés à loisir selon les besoins. Je pénétrai par la porte 6 et vit l’intérieur. Tout d’abord je fus saisi par l’odeur persistante du pétrole brûlé, puis stupéfait par les gerbes d’étincelles sautant des pilons martelant des barres d’acier portées au rouge. Autour de chaque poste s’affairaient des dizaines de jeunes soldats en cotte de travail, et chaque équipe avait son professeur attitré leur faisant une démonstration. En contrebas se montait une immense machinerie sur chenilles, une sorte de blindé mais en dix fois plus grand. Dans l’atelier juste à côté poussait un treillis de tubes pour une chaudière. Sa dimension dépassait de loin celle d’une locomotive, même de celles utilisées dans les mines de l’est. Je pouvais sans difficulté entrer un bras dans chaque tube alors qu’en principe ces dispositifs sont juste assez gros pour y glisser un auriculaire. Je gravis des marches en fer et arpentai des plateaux au-dessus des zones de travail. Une fois au sommet je pus alors contempler toute l’étendue de cet atelier. Cela grouillait d’activité, telle une fourmilière où les ouvrières s’affairaient autour des œufs de la reine. Au plus loin de la zone de travail les vaporistes semblaient avoir la taille d’une phalange et à mes pieds, vingt bon mètres en dessous c’était tout autant le mouvement, le progrès qui guidaient ces jeunes esprits. Malgré mes doutes je voulais en être, et puis j’avais ces pièces à récupérer.

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