lundi 26 mai 2008

Episode 20

Je ne dormis pas durant ce voyage et j’arrivai à Varia au petit matin, totalement épuisé et durement éprouvé par ces quelques jours. J’avais touché la réalité ou plutôt elle m’avait frappé au visage aussi fort qu’un coup de poing bien appuyé. Je n’arrivai pas à me résoudre à rejoindre immédiatement la faculté, pas plus que je n’envisageai pas de me coucher dans le quartier des « engagés ». Cette idée me sembla d’autant plus désagréable que j’avais envie de passer mes derniers jours de congé sans un uniforme sur le dos. J’étais certain qu’on me trouverait une corvée à faire plutôt que de me laisser tranquillement lambiner jusqu’à la reprise de la formation. Vu qu’il était très tôt je supposai que l’atelier de Wicca et son père serait ouvert et avec un peu de chance je partagerais le thé avec eux. Le ciel hésitait entre nuit et jour, je pris alors le temps de m’acheter un bout de pain, un fruit puis je pris le trolley où je dégustai mon repas frugal.

Une fois devant l’enseigne j’observai les alentours : quand les échoppes ne sont pas encore ouvertes et qu’il n’y a pas foule dans les rues on peut entendre des bruits indécelables. Le sifflement très fin d’une soupape que l’on règle ou le martèlement cahoteux d’un piston, tout cela vous ne l’entendez que quand les gens ne font pas de bruit, quand même la ville semble tombée dans un profond sommeil. Là, il y avait surtout des bruits de métaux qui s’entrechoquent, des pas, encore et encore des tubes sonnant en tombant. Je reculai ma tête de ma porte et fis savoir que j’attendais dehors à l’aide d’un heurtoir tiré d’une pièce de récupération. J’entendis le père de Wicca me brailler qu’ils n’ouvriraient que plus tard, ce à quoi je répondis par mon prénom. La porte s’ouvrit et je le vis me sourire malgré tout ce qu’il avait pu me dire quelques semaines auparavant. Il m’invita à boire un thé chaud tandis que nous devions attendre sa fille partie faire quelques courses un peu plus bas dans le quartier. Il nous installa à côté d’une splendide machine mal éclairée par deux lampions à gaz et me demanda de lui raconter ce que je devenais depuis tout ce temps. Il s’installa face à moi, prit sa tasse fumante et la tint devant ses lèvres tout en me regardant bien en face. Il me sembla songeur et passablement inquiet mais n’en dit pas un mot. Je lui fis le détail des banalités que j’eus à redire une fois de plus à propos de mes études, ce à quoi il ne répondit que par des hochements de tête et quelques grognements d’approbation. J’étais intimidé et mes doigts glissaient sur ma tache au bras comme par réflexe.
- Ca y est tu es marqué comme tous les vaporistes alors, dit-il en soufflant sur son thé bouillant. Tu as rejoint le club de ceux qui ont subi la colère de leur créature.
- Un accident pendant un cours, répondis-je en regardant le parquet de la pièce. Une soupape qui…
- … Tous les vrais vaporistes finissent tôt ou tard par être marqué d’une manière ou d’une autre. Moi j’ai une belle trace sur le dos, j’ai eu la malchance de tomber droit sur le corps de chauffe d’une locomotive. Wicca par chance n’est pas encore aussi abîmée que je le suis. Qu’est ce que tu viens faire ici ?
- Je reviens de Ranetta, je suis allé voir mes parents.
- Ton collier dit que tu es reçu à la STEAM. Fort bien jeune homme, alors comment te sens-tu après ce que tu as vu chez toi ? Ne me dis pas que tu n’as rien remarqué ces derniers jours. Les journaux racontent n’importe quoi mais tout le monde sait que ça bouge énormément à l’est.
- J’ai vu l’armée attaquer les manifestants et les emprisonner. Ils ont fait des rafles dans le train.
- Je me fous de savoir ce qui adviendra des membres du PNE, ils ne valent pas mieux que les gens du gouvernement. Les cinq sages sont des dictateurs qui maintiennent l’ordre grâce à l’armée et la police, les dirigeants du PNE en feront autant s’ils obtiennent l’indépendance. Et puis ils prônent un racisme infect, pour eux tout ce qui n’est pas né dans leur région doit la quitter. Wicca est une sang-mêlé, elle sera un fardeau si tu l’emmènes là-bas. De toute façon si tu y retournes ça sera avec ton uniforme et une arme pour mater la révolte.
- Je ne peux pas tirer sur mes amis ! Criai-je de colère. C’est impossible !
- Et si tu en reçois l’ordre ? Tu crois que les machines à vapeur de la STEAM sont là pour faire joli ? Tu as appris sur un blindé n’est-ce pas ? Tu sais comment il fonctionne et tu sais même les bases de son pilotage, alors arrête d’être aveugle gamin. Alors vers qui tu vas tourner ton canon ? Tes amis ? L’armée ? Les deux ? Au fait nous ne nous sommes pas totalement présentés : moi c’est Henri Violet, et toi Barto Röner si j’ai bien compris.

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