mercredi 4 juin 2008

Episode 27

Dès ma permission arrivée je me rendis à l’atelier de la famille Violet où je trouvais le père, la fille et Térésa en pleine discussion autour de l’établi. Chacun allait de sa suggestion et proposait une solution différente. Je me fis discret pour ne pas les troubler et j’écoutai alors chaque idée avec attention. Tous avaient raison d’une certaine manière, tout comme chacun avait tort quelque part. La perfection ou l’idéal n’est pas de ce monde souri-je en sortant de la pénombre. Tous furent surpris de me voir et m’accueillirent avec chaleur. J’embrassai les deux jeunes filles de manière amicale et serrai la main d’Henri qui fut ravi de me revoir. Nous bûmes un thé fumant, firent un point sur l’avancement de la voiture, puis je m’ouvris de ma décision d’aller à Ranetta avec le prochain contingent. Térésa frissonna, le père tonna contre ma folie et Wicca m’observa avec tristesse. Tous furent d’accord pour dire qu’un tel geste tenait plus de la folie que du bon sens et que seul je ne saurais être utile en quoi que ce soit pour mes parents. Ils n’avaient raison : qu’est-ce qu’un soldat seul pouvait changer ? Rien si ce n’est voir et ne rien comprendre.
- Et tu choisiras quel camp ? Demanda avec sarcasme Henri.
- Je ne sais pas, ce que je sais c’est que je dois y aller.
- Et si tu dois tuer ?
- Alors...
- Alors rien petit, tu seras comme tout le monde, comme je le fus à ton âge. Tu n’es pas né assassin, rares sont ceux qui naissent avec ça dans le sang. Si je hais la STEAM Barto, c’est parce que je leur dois la mort de ma femme, mais aussi parce que j’ai porté leur uniforme tout comme toi. J’ai vécu ce que tu vis, devoir aller quelque part où j’étais engagé. Sa mère n’avait rien d’une terroriste ou d’une rebelle, mais une foule en colère c’est aveugle au bon sens et sourd à la parole de la raison. Ils ont tirés, je l’ai vue s’effondrer sous mes yeux. Wicca elle dormait dans un couffin dans sa maison. Nous nous étions rencontrés alors que je venais faire du maintien de l’ordre, tout comme tu veux le faire. Je suis resté là-bas trois longues années, elle est tombée enceinte, nous nous sommes mariés. Mes supérieurs considéraient cela comme un affront, elle était d’une tribu et pas d’une ville. A vrai dire c’était le désert, la poussière, la soif, la chaleur…
- Tu ne m’as jamais raconté tout ça papa, murmura Wicca dans ce qui semblait être un début de sanglot étranglé.
- Te dire que je suis moi aussi un assassin ? J’ai utilisé mon fusil pour sauver ma vie, mais j’avais tort. Barto, tu ne dois pas y aller, ta vie a de l’importance parce que tes parents se dont donnés du mal pour que tu vives, pas pour que tu ôtes la vie d’autrui. J’ai énormément parlé avec Térésa, elle m’a dit ce qui s’est passé dans ta ville. Je suis désolé, mais reste ici, tu ne seras d’aucun secours à ta famille si tu meurs.
- Ma décision est prise monsieur Violet, c’est mon choix et je n’en changerai plus. Je pars dans deux semaines, ils ont avancés l’appel. Je suis le seul de première année à partir, sur faveur de mon officier. Je suis un entraînement spécifique pour savoir conduire un blindé et tirer correctement au fusil. Je ne suis pas mauvais, ils veulent me voir aux commandes d’un de ces engins dès demain. Je n’ai qu’aujourd’hui pour tous vous voir. Térésa, ils ont donnés dix jours de plus à tous les soldats partis en opération, d’après eux c’est nécessaire. Reste ici, ne reviens à la STEAM que si tu es sûre de toi, pas autrement. Ne déserte pas, démissionne si tu sens qu’il ne faut plus que tu en sois. Moi, j’y reste et j’y vais.
Je me levai, embrassai sur le front Térésa, serrai la main de monsieur Violet puis finalement embrassai sur la joue Wicca. Cette dernière me suivit au dehors tandis que j’entendis pleurer à chaudes larmes Térésa qui s’effondra en me voyant m’en aller. Une fois sorti, Wicca me sauta au cou, me regarda droit dans les yeux avec arrogance et me lança bien en face « Reviens, c’est un ordre, pas une demande ». Je ne pus qu’hocher la tête, la fixer fermement dans les yeux puis l’embrasser à nouveau comme un frère et une sœur s’embrasseraient. Elle me glissa dans la main un bout de papier avec dessus une sorte de grille faite de lettres et de chiffres.
- C’est un système de code qui nous permet de nous écrire sans que notre courrier soit lu, ou de rédiger des plans sans qu’on puisse nous les voler. Tu pourras te servir de ça pour nous envoyer des lettres. N’oublie pas, écris. Je pense à toi Barto Röner.
- Et moi aussi je pense à vous tous Wicca Violet. Sois prudente, occupe toi bien de Térésa, elle a besoin de quelqu’un de fort comme toi.
- Je ne suis pas forte, je ne le suis que quand c’est indispensable. Reviens moi vite. Promis ?
- Promis.

J’aurais pu rester toute la journée, voire même le lendemain mais au fond de moi je pensai que tout cela aurait eu un quelque chose de théâtral qui n’aurait fait que faire plus de mal que de bien. De retour à la faculté je me dirigeai immédiatement à l’armurerie, demandai conseil au préposé et pris place dans un stand. Epauler, viser, presser la détente. Le fusil à répétition fut alors mon nouveau compagnon : j’appris à le démonter, à l’entretenir puis à le remonter le plus vite possible. On m’enseigna l’art d’utiliser une baïonnette, à modifier la hausse du fusil pour mieux tirer puis enfin à me servir correctement de la culasse mobile. Ce fut si simple qu’en y repensant un enfant aurait pu l’apprendre en quelques heures. J’eus des cours sur les rudiments de l’utilisation des explosifs à poudre, sur le lancer de grenade et sur la façon la plus efficace de détruire un bâtiment. Succinctement cela se résuma à savoir trouver les murs porteurs et estimer rapidement la charge à faire sauter pour faire s’effondrer l’endroit tout entier.
Chaque soir je me rendis au service du courrier mais rien ne me revint de Ranetta. Les secrétaires m’expliquèrent qu’il était rare de voir revenir du courrier ces derniers temps vu que seuls les trains de l’armée circulaient dans cette direction. Vu que j’allais partir j’assistai alors à des cours du soir spécialement mis en place pour perfectionner les connaissances des classes supérieures. Je dus donc tenter de suivre des leçons avec mes lacunes et ainsi pouvoir assister des professionnels dans leurs tâches. Si la STEAM se donnait cinq ans, c’était à mon sens pour avant tout s’assurer de la pleine discipline de ses élèves et non pour en faire les meilleurs techniciens. Avoir des experts c’était un bonus, pas une finalité, alors durant ces deux semaines sans repos j’appris ce que j’étais supposé ingurgiter en deux ans au minimum.

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