mardi 3 juin 2008

Episode 26

Après trois longues semaines sans interruption deux trains spéciaux s’arrêtèrent à la gare centrale et déversèrent leurs chargements de soldats et de recrues. Tous semblaient exténués et leurs yeux trahissaient bien autre chose que de la satisfaction. Il nous fut interdit de leur parler tant qu’ils ne furent pas libérés, lavés et rhabillés les uns dans leurs casernes et les autres à la STEAM. Je J’entrevis Térésa à sa descente d’un wagon. Elle était couverte de poussière, les joues sales et les des cernes marquées sous les yeux. Ce qui me surprit c’est la couleur de son uniforme, un noir profond et des écussons sans brillant. Elle me vit, me fit signe et rejoignit son bataillon pour se mettre au garde à vous puis embarquer dans un camion. Au bout des trains je vis des paquetages être déchargés mais aussi un certain nombre de blessés et de boîtes peintes en noir. Des cercueils avec dessus peint sommairement le nom et le matricule. Je tentai de reconnaître quelqu’un de connu mais en dehors de Térésa je ne connaissais quasiment personne. Je m’en fus alors à la STEAM, dévalant les rues à toute vitesse pour pouvoir la voir à la sortie de leur débriefing. Après plusieurs heures d’attente interminable je la vis apparaître dans une file qui se rendait vers le gymnase. Ils allaient se nettoyer et se changer et une fois de plus elle croisa mon regard. Je vis dans son sourire une espèce de désespoir, une tristesse gigantesque que je n’avais vue que lors des enterrements.
Une heure de plus passa alors que je m’étais assis sur un banc comme bien des étudiants. Il y avait ça et là des groupes d’officiers regroupés à l’écart, discutant à voix basse et ne laissant transparaître aucune émotion. Que s’était-il donc passé pour qu’ils soient tous ainsi ? Somme toute nous ne savions rien, et semble-t-il nombre de gradés étaient eux aussi dans le brouillard. Quand enfin Térésa me retrouva dans la foule qui s’était formée à la sortie du gymnase, elle se jeta dans mes bras et se mit à pleurer à chaudes larmes. Je l’enlaçai et tentai de la calmer comme je le pouvais en lui murmurant gentiment de se détendre et de venir avec moi. Elle me prit par le bras pour que je la soutienne et nous allâmes tout droit vers un des parcs intérieurs où nous pûmes errer à notre guise. Il s’était remis à pleuvoir une bruine sale et grise et je remontai mon col. Elle me serra le bras un peu plus fort et posa sa tête contre mon épaule.
- Qu’est ce que nous sommes donc Barto ? Murmura-t-elle pour elle-même. Des tueurs, des assassins, des machines, rien que des machines envoyées pour tuer encore et encore.
- Raconte moi Térésa, raconte moi tout.
- Mon supérieur est mort, ils m’ont donné son commandement pendant le combat. Je passerai à la classe supérieure dès notre repos terminé. Nous avons dix jours de repos et une prime… Une prime ! Pour avoir tiré sur « l’ennemi ».
- Quel ennemi ?
- Des gens qui ont pris les armes contre l’état, des paysans, des mineurs...
- ...Des mineurs ?! Coupai-je inquiet. Où ?
- Dans l’est, près de Ranetta.
- C’est chez moi !
- On nous a envoyé pour faire cesser les activités d’un parti, le PNE. Ils ont commencé par des manifestations, l’armée est intervenue puis ça a dégénéré. Il y a eu des coups de feu, des blessés et des morts des deux côtés ; Ensuite, on nous a demandé de nettoyer les poches de résistance. Rue après rue il y a eu des barricades, puis des jets de pierre et des bombes incendiaires. J’ai été blessée au bras, puis ensuite une partie des étudiants de l’unité se sont fait lyncher. Il y a eu tellement de morts ! L’ordre a été donné d’utiliser les blindés… On a tiré, encore, et encore, et encore ! Pourquoi, pourquoi ?
- Je dois absolument prendre des nouvelles de mes parents ! Ils sont peut-être…
- La ville est sous la loi martiale, tu ne pourras pas avoir d’informations, et ce que je t’ai dit n’est pas arrivé. Tout est censuré, pas de journaux, pas de transport, on dit juste que les trains sont interrompus pour des problèmes « techniques ».
- C’est le PNE qui a commencé ?
- Comment veux-tu que je le sache ?! pleura-t-elle. Il y a eu des manifestants pour le PNE et contre eux ! Les civils entres eux se sont jetés des pavés ! On a essayé de s’interposer et finalement on a été pris pour cible par les deux clans. Ca a une importance de savoir qui a commencé ?
- Va te reposer Térésa, je vais quand même essayer d’en savoir plus.
- Sois prudent Barto, s’ils savent que je t’ai parlé toi et moi sommes bons pour la cellule et l’isolement le temps que les opérations se terminent.
- Que vas-tu faire pendant tes jours de repos ?
- Je n’ai plus vraiment de chez moi, je n’ai que mon oncle… et toi.
Elle m’enlaça et m’embrassa au su et vu de tous.
- Tu n’as plus peur d’être sanctionnée pour ça ?
- Qui va me dénoncer ? De toute façon je ne sais pas si je vais pouvoir continuer ainsi.
- Va voir Wicca. Tu sais où elle habite ? Viens de ma part ils vont t’héberger et te donner l’occasion de vraiment te reposer.
- Mais…
- Ne discute pas.
- Toi aussi tu as changé Barto, tu es plus dur, plus...
- Je ne t’ai rien dit mais j’ai vu ce qui se passait là-bas avant que tu partes. Si j’avais su…
- On aurait fait quoi ? Je n’ai su la destination qu’à notre arrivée. Je t’en supplie sois prudent, tu as une carrière.
- Et la tienne ?
- Je ne suis plus sûre de rien.
- Va chez Wicca. Tu sais où c’est ?
- Pas vraiment.
Je lui décrivis alors le chemin et l’embrassai à mon tour. Je lui ordonnai alors d’y aller immédiatement et surtout d’y rester le temps qu’il fallait pour se remettre Quant à moi, je pris la direction du service postal et demandai qu’on me permette de faire partir un courrier en prioritaire. J’écrivis une rapide missive à mes parents pour prendre de leurs nouvelles, et une autre lettre destinée au responsable local de l’armée afin de lui donner les noms et prénoms de mes parents. Avec un peu de chance il pourrait intercéder en leur faveur pour leur éviter trop de tracasseries. Une fois les deux plis cachetés et mis dans les sacs, je m’en retournai à mon bâtiment et me dirigeai directement vers le bureau du responsable. Il me reçut, je lui expliquai ce que j’avais appris et lui fit comprendre que j’étais volontaire pour y aller. A son tour il m’expliqua que l’absence de formation me rendrait totalement inutile, surtout du fait que j’ignorais tout de l’usage d’un fusil. Cependant, à demi mot il m’expliqua que l’armée n’y retournerait que d’ici un mois ou deux et que d’ici là j’aurais tout le temps de me préparer un minimum pour l’action. Je le saluai, le remerciai d’accepter mon engagement et m’en fus en claquant des talons.

Aucun commentaire: